Par Abdelhamid Gmati Au début des années 90, le Premier ministre du Canada se représentait aux élections fédérales pour un second mandat. La campagne électorale commandait qu'il aille prendre contact avec les populations de toutes les provinces et toutes les composantes de la société. Il eut à se rendre dans un foyer de retraités, qui sont des électeurs non négligeables : d'abord parcequ'ils pèsent relativement lourd (pourcentage important des suffrages), ensuite parce que, désœuvrés et conscients de l'importance de leurs votes, ils vont aux urnes en masse. Conscient de cela, le Premier ministre se devait de courtiser ces électeurs. Dans l'un des foyers, il engagea la conversation avec une vieille dame, dans un fauteuil roulant. Laquelle le toisa et lui dit : «Tu (le «Tu» au Québec, n'a pas la même signification de familiarité qu'en France) nous a menti et tu n'as pas tenu tes promesses : on va te «débarquer». La scène a été diffusée, en direct, par une chaîne de télévision, reprise par les autres, les radios et la presse dans son ensemble. Aux élections, le premier ministre fut, effectivement, «débarqué», le vote des « aînés » ayant pesé lourd et il fut contraint à la retraite.. Il y a quelques jours, le Président des Etats -Unis était convié, en compagnie de son épouse, à la fameuse émission « Oprah ». Ils durent répondre à toutes les questions de l'animatrice, célèbre pour sa franchise, son audace, sans complaisance. Et tout y passait : ses politiques, ses promesses, tenues et non tenues, sa vie privée, ses relations avec son épouse, ses revenus, sa fortune personnelle, ses amitiés, ses goûts etc. Un véritable «audit» de ce personnage, Président de la première puissance mondiale, qui se prépare à se représenter pour un second mandat. C'est que, en démocratie, l'on ne peut pas confier les destinées de tout un peuple (et, en l'occurrence, du monde) à quelqu'un d'obscur, ayant des choses à cacher, des défauts, voire des malversations, ou des obsessions, même si l'on croit le connaître du fait d'un premier mandat. Il y a plusieurs exemples d'hommes politiques, aux Etats Unis et ailleurs, dont la carrière a été stoppée pour des comportements répréhensibles. Avec notre révolution, nous avons une éclosion de partis politiques et, donc, un grand nombre de personnalités qui veulent nous gouverner, soit comme président, soit comme responsables au gouvernement et dans toutes les instances de l'Etat. Et que savons-nous sur eux ? Rien, ou juste les petits côtés valorisants qu'ils veulent bien nous faire miroiter. Si nous avions su ce que nous savons, aujourd'hui, de ce qu'était Ben Ali, dans sa jeunesse, ses relations avec ses parents, ses amis, ses travers, ses comportements, son caractère, sa vie de couple, sa relation avec l'argent, qu'il était menteur et ne tenait pas ses promesses, peut-être n'aurions nous pas été sensibles aux chants des sirènes. Aujourd'hui, nous avons un tas de personnages qui se déclarent révolutionnaires, qui veulent parler au nom du peuple, qui excluent les autres, qui accusent, revendiquent, clament leur «propreté», leur légitimité, voire leur «virginité» et veulent nous gouverner. Les uns étaient brimés et se taisaient, d'autres étaient dans des partis d'opposition, également muets et, pour le moins, complaisants, d'autres, encore, étaient à l'étranger, en exil, se faisant entendre seulement par certaines parties étrangères. Tous souffraient à des degrés divers. OK. Pas de problème. Mais puisqu'ils veulent briguer le pouvoir, voire les pouvoirs, il est naturel qu'ils soient eux mêmes « transparents ». Indépendamment de leurs programmes politiques et ceux de leur parti, qu'ils nous disent qui ils sont, en tant que personnes, ce qu'ils ont fait, quelles étaient leurs ressources, ici et à l'étranger, leurs relations professionnelles et familiales, leur statut matrimonial, leurs qualités et leurs défauts, sont-ils de parole, etc. Peut-être découvrirons-nous que l'un d'entre eux n'a pas payé ses impôts, (comme un certain premier ministre français dont la carrière pourtant prometteuse, s'est arrêtée pour cela), ou n'a pas déclaré sa femme de ménage à la CNSS, comme l'exige la loi, ou qu'il est accroc à l'argent, aux jeux de hasard, aux courses ou aux cartes, ou qu'il est un coureur de jupons (le FMI vient d'en savoir quelque chose (et, à l'inverse , pour une dame, une « coureuse de pantalons »), ou qu'il bat sa femme, ou qu'il a une double nationalité et qu'il travaille pour un pays étranger, ou qu'il n'aime pas les bédouins, les sahéliens, les sudistes ou les nordistes, les habits modernes, les habits tunisiens, les femmes intelligentes et modernes, l'avion, les touristes, ou peut-être même les sports ou…les chats. On lui pardonnera, tout de même, si sa femme est une coiffeuse : toutes les coiffeuses ne se ressemblent pas et la plupart sont d'honorables dames. Mais il faudra quand même veiller à ce qu'elle n'ait pas un bataillon comme frères et sœurs.