Par Soufiane Ben Farhat L'éditorial de Presseurop est cinglant : "Alors que le monde arabe est secoué par un vent de liberté émanant d'une jeunesse qui étouffe, l'Europe semble incapable de prendre l'initiative et d'assumer le rôle que sa position et son histoire lui imposent. La diplomatie de l'Union, incarnée par le Haut représentant aux Affaires extérieures Catherine Ashton, peine à se faire entendre et paraît à la traine par rapport à Washington. Quant aux chancelleries des Vingt-Sept, elles oscillent entre un silence embarrassé et des encouragements modérés aux soulèvements populaires, tout en ne voulant pas paraître lâcher d'un coup des despotes qu'elles ont jusque-là soutenus". Soit, on l'a compris. La cause des peuples fait les frais de la raison d'Etat. Seulement, processus unitaire oblige, il s'agit en l'occurrence de raisons d'Etats. Et ils sont vingt-sept. Les Etats-Unis d'Amérique, eux, font montre d'un pragmatisme hors du commun. Les premiers à saluer les révolutions tunisienne et égyptienne. Les seuls à rendre à la révolution tunisienne un éclatant hommage solennel appuyé. Cela s'est passé au Congrès US, toutes instances et sensibilités réunies, à l'occasion du discours d'Obama sur l'état de l'Union. Bien évidemment, les USA tirent les premiers les dividendes géostratégiques de ce positionnement. Ils se sont empressés de faire du lobbying, placer leurs hommes et aménager des boutiques et chapelles dans les édifices politiques en reconstruction ou recomposition. Opportunisme politique ou pas, c'est de bonne guerre dira-t-on. Les résultats spectaculaires ne se sont pas fait attendre. Les instances financières internationales, largement dominées par les Etats-Unis d'Amérique, se sont avisées d'appâter les économies tunisienne et égyptienne moyennant des offres de prêts faramineuses. Ce faisant, elles perpétuent un schéma largement répandu dans la région depuis la seconde moitié du XXe siècle : l'arrimage des économies arabes au capitalisme financier nord-atlantique. Ici comme ailleurs, les USA font leur la devise de Pasteur : le hasard ne favorise que les esprits préparés. Mieux, ils boostent la providence et en infléchissent la courbe. L'Europe, elle, est blackboulée entre l'attentisme pétrifiant et la frayeur de la contagion libertaire. La semence du printemps arabe germe dans le Vieux continent. La mobilisation des larges masses est particulièrement virulente en Espagne, en Grèce, au Portugal, en Italie et au Royaume-Uni. Les enjeux vicieux de l'instabilité chronique cimentent les équilibres catastrophiques d'Irlande, d'Islande ou de Belgique. A Barcelone, plus de cent mille jeunes ont participé à une marche pacifique il y a peu. Selon El Periódico, "il serait maladroit de réagir en ignorant ceux qui se mobilisent en réaction aux mesures de rigueur appliquées en Espagne et dans toute l'Europe". En Italie, les électeurs sanctionnent le gouvernement. Un peu partout ailleurs, ou presque, c'est la veillée d'armes des grands chamboulements. Der Spiegel a publié en Une l'image d'un drapeau grec recouvrant le cercueil de l'euro. Il s'en explique‑: l'union monétaire est en passe de devenir la menace numéro un pour l'avenir de l'Europe. L'euro enchaîne entre elles des économies qui n'ont rien à faire ensemble. De tous les défis européens, il ne reste aux Grecs que l'austérité. Les temps sont durs. Les peuples en font le douloureux constat. La crise démontre, par l'absurde, qu'elle fait fi des disparités et du développement inégal qui caractérisent l'économie mondiale. Certains préfèrent parler d'économie-monde. Un peu partout, la condition humaine en est réduite à la même impasse. Longtemps démonisé, diabolisé et montré de l'index accusateur, le Sud donne l'exemple. Il montre la voie de la libération. Des révolutions historiques y ont lieu. Elles battent en brèche l'eurocentrisme. Ce n'est point l'avis de l'Europe officielle. Elle préfère visiblement se calfeutrer dans sa peur paralysante. Mais le spectre agité aujourd'hui s'appelle démons intérieurs.