Le renvoi de la date limite des assemblées générales des clubs a fait l'affaire de tous ceux qui s'imaginaient que la direction d'un club professionnel était chose aisée. Beaucoup étaient en effet convaincus qu'il suffisait d'avoir des sous, d'être un régulier des terrasses de cafés, d'un minimum de bagout et de quelques billets glissés par-ci par-là pour s'en tirer et s'emparer, sans coup férir, d'un club, cette plateforme idéale à même de les propulser dans le monde des "affaires sportives". Mais comme les choses risquent de se gâter au premier revers, et que la période de grâce n'est jamais bien longue pour un club qui veut jouer les premiers rôles, il y a des difficultés à surmonter, des bouches à nourrir et d'autres à faire taire. Par les temps qui courent, rien n'est aussi évident que cela. Avec le glaive "dégage" qui menace, on ne peut plus obliger le commun des mortels, bouche cousue, à prendre des vessies pour des lanternes. Il fallait mettre en place une stratégie de reconquête et de combat. Le plan d'action se devait d'être irréprochable et comme les promesses sont en général gratuites, on ne risquait pas de faire de grosses dépenses. Le bon vieux peuple aime rêver. Et les rêves ne coûtent pas cher, leur interprétation étant aussi large que subjective, on peut tout raconter. La réunion commence avec un certain retard. C'est la mode. Pour faire sérieux et convaincant, on a invité l'entraîneur et pris soin de faire encadrer la salle par des inconditionnels professionnels qui ont fait leur preuve. Fidèles et actifs, ils ont été utilisés, en temps voulu, pour ratisser large et servir de rempart pour protéger l'élu des cœurs, imposé par de savantes chevauchées dans l'improbable et les promesses mielleuses. Depuis des années que cela dure, ils sont passés maîtres dans l'art de la provocation pour dissuader d'éventuels prétendants. Ils savent faire monter la tension et porter à bout de bras leur champion. Il faut surtout compenser l'inexpérience par de l'agitation. Les applaudissements sont rythmés. Les bravos, dévoués et convaincants. Il y avait même des you-you. Reconnaissons que cela a bien réussi, car ils ont investi la forteresse et hissé leurs couleurs. «Rajeunissons!» Prouesse inégalable, ils ont fait le vide autour d'eux. «Les preux», remplis de bonne volonté et dévoués à la cause, parce qu'ils ont fait preuve de réalisme, ont battu sagement en retraite pour éviter le ridicule d'une situation invivable et les outrages qui leur étaient réservés. La place libre, le vide au sens propre et figuré assuré, le champion occupe, à lui seul, toute la scène. -Les caisses sont vides. Que faut-il faire pour parer au plus pressé? - Il faut commencer par vendre des joueurs dont la cote est encore assez élevée. - Et pour les remplacer? -Nous allons rajeunir. Le club est riche en éléments de valeur. Il est temps de leur donner leur chance. - Oui, mais comme leur rendement ne pourra être du jour au lendemain aussi bon, nous risquons des problèmes. - Pas de risque, l'entraîneur sait ce qu'il fait. D'ailleurs, à son arrivée, il a prévenu tout le monde. La majorité des cadres de l'équipe ont levé le pied pour lui donner raison. Je saisis cette occasion pour féliciter l'entraîneur qui a été un fin psychologue. Il a eu le mérite de savoir démobiliser tous les joueurs et leur ôter toute envie de se battre. Les défaites prouvent bien que nous sommes sur la bonne voie et que nous avons raison de vouloir reconstruire l'équipe. - Il ne faut pas dramatiser, nous ne jouons pas pour la relégation. Du moins pour le moment. - Le public commence à s'impatienter, même celui qui meuble les huis-clos et qui est invité avec la collaboration de la Ligue, la bonté des arbitres, et la passivité du service d'ordre. -Nous allons l'occuper avec les dossiers de ceux qui nous ont précédés. Qui cherche trouve. Nous allons faire monter en flèche les problèmes de déficits et des dépenses inutiles. Il y a du blé à moudre. -Mais ce n'est pas nouveau. Personne ne nous prendra au sérieux. Tous les clubs sont déficitaires. Vous avez fait des promesses et ... -Les promesses, c'est pour préparer les élections et l'assemblée.Nous sommes dans le réel. Il nous faut des joueurs à recruter. Des noms, des noms, même s'ils sont dépassés. Le public aime se bercer d'illusions et nous devons lui en donner, des illusions...des rêves...des titres en virtuel....marteler les promesses de grandeur.... - Comment allons-nous justifier les départs? - C'est facile. Ce n'est pas de notre faute. C'est la faute des autres. Y-a-t-il d'autres problèmes? - Oui, il faut essayer de trouver une compétition pour faire participer les clubs qui se classent en milieu de tableau. Il faudrait le proposer à la prochaine réunion de la fédération. -Et pour renflouer la caisse? -Nous allons trouver le moyen de placer les joueurs qui restent tout en essayant d'augmenter les charges. Je me charge personnellement de trouver preneurs pour les joueurs et imaginer des postes à créer. - Que devons-nous faire pour compresser les charges? - Là, c'est facile. Nous devons augmenter les dépenses en créant de nouvelles fonctions qui font claquer les langues. C'est ce qui justifie notre volonté de faire appel à un étranger pour les jeunes. Cela signifie que nous sommes dans l'air du temps. Et attention, nous avons déja créé des postes nouveaux avec des émoluments dignes du standing de notre club. Nous détenons le record au niveau des directeurs recrutés. -Oui, mais pour les résultats? -Ce n'est pas important. Nous avons appris à survivre sans en avoir. -Encore autre chose? -Oui, fixer la date de la réception à organiser pour fêter notre classement qui est réellement exceptionnel!