Hatem Ben Cheikh est un de ces artistes qui regardent la vie en face. Sous ses airs de plasticien maudit, se cache un citoyen conscient et conséquent, un homme humble dont l'anticonformisme s'arrête là où est menacée la nature. Nous l'avons retrouvé, il y a une quinzaine de jours, lors d'une rencontre au théâtre Al Hamra avec l'association «Al Mawred» qui soutient les résidences et les projets culturels dans le monde arabe. Il était venu dans l'espoir de partager son rêve qui s'intitule «Chemsa», une installation éco-créative se basant sur un savoir local durable et une énergie renouvelable. Son projet nous a fascinés. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il nous a confortés dans l'idée que la Tunisie, malgré cette période trouble de transition, et ses multiples faces, compte encore des gens qui savent prendre racine et des artistes capables de faire jaillir les couleurs. Le parcours Hatem Ben Cheikh n'a reçu aucune formation académique, mais il a fait des stages dans des centres spécialisés dans l'art du vitrail (au Centre international du verre à Chartres, au Centre international de recherche sur le verre à Aix-en-Provence, à l'atelier Derix en Allemagne ...). La transparence du verre l'a aidé à saisir et à comprendre la manipulation des autres matériaux et à procéder au mélange de deux ou plusieurs matières, telles que le métal, le verre brisé et le sable. Il expose ses œuvres la première fois en 1979 et gagne le premier prix en 1990 dans un concours lancé par une compagnie pétrolière. Depuis, il se lance dans l'expérimentation de plusieurs techniques sur différents matériaux. Il réalise en 1995 des fixés sous verre monumentaux pour l'Acropolium de Carthage. Ayant l'âme d'un nomade, il se promène partout dans le pays, se ressource dans le quotidien des gens, dans les pratiques traditionnelles et le savoir local, s'installe par moments et anime des ateliers de sculpture à partir des déchets plastiques et autres résidus qui traînent dans les villes et sur les plages. Chemsa Mais pour concevoir le projet qu'il appelle «Chemsa», il lui a fallu plus de vingt ans de recherches, d'investigation et d'expérimentation. Le soleil est au cœur de cette installation éco-créative. Imprégné de verre, de bois et de fer, l'artiste se retrouve en train d'évoluer dans les veines des énergies naturelles et renouvelables. Et c'est à partir de cette pratique de récupération qui le passionne depuis les années 80, qu'il développe l'idée de la cuisine solaire, du mobile photovoltaïque et des fontaines et cascades d'eau. L'hélium, l'hydrogène, le verre et différents autres éléments seront utilisés pour élaborer une architectonique où lumière, matière et sensation évoluent dans un champ interactif alliant plaisir esthétique et prise de conscience. «Les personnes qui visiteront l'installation seront amenées par l'œuvre, les matériaux et la technique à prendre conscience de l'impact existentiel du soleil, source de lumière, de chaleur et d'énergie», explique l'artiste. Le dispositif qui sera mis en place tournera donc autour des 4 éléments de la nature : le soleil, l'eau, l'air et la terre. Le visiteur découvrira le potentiel solaire, le système de la récupération des eaux de pluies (le système traditionnel des «majen»), le recyclage des eaux usées ,la production de l'énergie éolienne, l'usage de la terre dans des matériaux locaux ou ce qu'on appelle éco-matériaux… L'installation comprendra également des ateliers de poterie rurale (avec cuisson dans un four solaire), de mosaïque réalisée avec la technique des mortiers romains, un atelier de transformation de la chaux (matériau de construction bioclimatique), un atelier de transformation d'alfa, de produits de palmier, de bois d'olivier, de tissage de la laine (teinture végétale et filage à la main), de goudron végétal (produit phyto-sanitaire), un atelier d'usage des algues séchées, pour la literie et l'isolation thermique, un atelier d'exploitation de l'os animal pour faire du noir d'os, un pigment de peinture de haute qualité, et un atelier de cornes pour fabriquer des peignes… De la récupération Dans le volet récupération, l'initiateur du projet propose également des «Earthships» ou «Vaisseaux terre», une manière de construire à partir de bouteilles de plastiques, de verre, de métal et de pneus usés, créée par l'Américain Reynolds aux années 80. «On peut construire un “houch” ou maison traditionnelle avec des cadavres de vin et de bière qui encombrent l'environnement», avoue l'artiste. Il y a un an, il a fait des tests dans une ferme et il est sûr qu'il peut adapter cette technique à l'architecture locale associée aux matériaux locaux. D'autant plus, nous apprend-il, qu'une tonne de bouteilles recyclées économise 4 barils de pétrole. Les fiches techniques de cette éco-construction sont déjà prêtes, à bon entendeur… C'est clair, Hatem Ben Cheikh est dans une logique- solution par rapport aux menaces de la nature et des hommes. Il est plus que jamais convaincu que l'art contemporain peut inciter à l'éveil écologique, il peut même aider l'homme moderne dans sa quête d'identité. Son projet d'installation éco-créative «Chemsa», dans l'attente d'un soutien financier, défend l'idée que le solaire est l'espoir de la planète, que demain le soleil produira 100% de notre énergie verte, renouvelable et durable. L'artiste rêve de changer les déserts en source d'énergie et de faire des déchets des uns, le bonheur des autres.