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Sidi Bou Saïd, saint patron des pirates et des pêcheurs de seiches
Les bonnes feuilles : Récits et réflexions d'une touriste sous l'ère Ben Ali
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 07 - 2011

Nous continuons la publication des bonnes feuilles du récent ouvrage d'un récit de voyage de Yvonne Bercher, auteure suisse, qui a pour intitulé « Récits et réflexions d'une touriste sous l'ère Ben Ali ».
En 2006, 2007 et 2008, l'auteure qui s'est rendue en Tunisie, a accumulé une expérience à la fois sensitive, affective et intellectuelle d'un voyage dans un pays où le feu était déjà sous la cendre.
Le muezzin, qui immuablement dévide sa litanie incantatoire, se fait très discret, trop à mon avis. Il me faut tendre l'oreille pour l'entendre distinctement.
Nous nous levons avec l'entrain d'explorateurs au seuil d'une terre vierge.
La découverte de Sidi Bou Saïd, aux abords de Tunis, représente notre projet du jour. Au bout de l'Avenue Habib Bourguiba, le TGM, (petit train Tunis - La Goulette - La Marsa ), nous amènera à destination, après une dizaine d'arrêts dans de jolies gares à la française, souriantes et bien entretenues. Sidi Bou Saïd frappe immédiatement par la grande unité de son architecture hispano-mauresque. Maisons blanches ne dépassant pas trois étages, portes et balcons bleu ciel. Les moucharabiehs, parois de bois sculpté qui permettaient aux femmes de voir depuis leur fenêtre sans être vues, sont à l'origine de ces galeries. Leurs riches et nombreuses variations décoratives enjolivent les façades. L'aspect soigné, presque léché de ce microcosme frappe comme une incongruité dans l'environnement arabe usuel, chaos plein de vie mais souvent poussiéreux, branlant, dont les secrets du fonctionnement défient notre raison d'Occidentaux. Sidi Bou Saïd, c'est un peu l'équivalent nord-africain de nos somptueuses fermes bernoises, ornées de géraniums sur les fenêtres.
Un champ d'agaves, aux fleurs aussi hautes que le minaret de la mosquée, entoure l'édifice sacré, flanqué d'une zaouïa du XIIIes.
En contemplant le paysage, je réalise que la vue qui s'offrait aux conquérants musulmans présentait un aspect très différent, probablement bien plus monotone. C'est aux Espagnols, débarqués au XVIe s., que l'on doit l'architecture locale. Rapportées par ce peuple d'Amérique du sud, l'agave et la figue de barbarie n'existaient pas auparavant sur sol africain. Maintenant, ces végétaux, à vocation souvent défensive, ont conquis leur droit de cité. Ils constituent un des labels du paysage nord-africain, à tel point que l'on oublie qu'ils n'y ont pas toujours été. Il en va de même pour la tomate et le piment, ingrédients incontournables de la cuisine tunisienne.
Après avoir palpé l'atmosphère du lieu dans un petit café qui me rappelle ceux d'Alexandrie, par ses faïences blanches, ses chromes impeccables, et un alignement de narguilés prêts à l'emploi, nous empruntons une ruelle bordée de boutiques de souvenirs, investies par des touristes, cuisses à l'air. Cette désinvolture face aux codes vestimentaires locaux ne s'inscrirait-elle pas dans la suite du mépris colonialiste pour «les indigènes» ?
Du point culminant du village, empruntons un large escalier qui mène vers la mer. Avec mes sandales aux semelles glissantes, je me cramponne avec délice à mon grand fils qui, s'il le fallait, me secourrait dans les catacombes de l'enfer ! La Méditerranée joue de ses plus beaux atours, du saphir à la turquoise ; j'y retrouve à profusion et dans leur nuance la plus profonde, toutes les pierres bleues dont quelques millimètres carrés suffisent à m'électriser. Quelques couples d'amoureux – nous avons visiblement ciblé l'endroit romantique de la contrée—jalonnent notre parcours. A Damas ou au Caire, ils se feraient insulter alors qu'ici, en harmonie avec la vue sur l'infini, ils profitent paisiblement d'instants dont ils se souviendront probablement, une fois devenus vieux.
Sur la route du retour, à la recherche d'un restaurant, nous peinons à trouver le centre d'intérêt de La Goulette. Une fois la nuit venue, il paraît que le port s'anime ; les Tunisois viennent s'y divertir. Dans cette agglomération, tout me semble dispersé, un peu au hasard. Traînant notre indécision sous une chaleur de milieu de journée, nous nous dirigeons vers le port, après avoir traversé une zone industrielle à vocation peu claire. Comme un vigile semble garder le port, je lui demande l'autorisation d'y pénétrer. Y déambuler, oui, mais sans prendre de photos, et c'est vraiment dommage. Pour cette simple inscription que je déchiffre dans un instant jubilatoire, cela valait la peine d'étudier l'arabe pendant des années, avec la conscience qui anime les projets inspirés par le cœur plus que par la raison. Un vieux bateau dont il n'est plus possible de déterminer la fonction précise, délabré de la proue à la cale, sur lequel la pourriture et la rouille se livrent un combat héroïque, est orné d'une calligraphie qui, elle, a résisté à tout : «Le Futur». Cette vision d'un avenir triomphant valait une marche déshydratante à laquelle notre découverte confère enfin du sens!
En regagnant Tunis, nous nourrissons le projet de prospecter une boutique de commerce équitable, Mains de femmes, qui vend de l'artisanat produit par des coopératives. Si les enseignes ne rappelaient pas le continent où nous sommes, l'Avenue Habib Bourguiba, par son architecture, pourrait appartenir à n'importe quelle grande ville occidentale.
Au troisième étage d'un bâtiment quelconque, nous attend un magasin très éclairé. Le blanc y domine. Le calme de ce lieu contraste avec l'animation de la rue. A notre arrivée, une belle femme au regard droit, d'une trentaine d'années, se lève et vient à ma rencontre. Immédiatement rayonne sa forte présence et le contact s'établit très spontanément. Nous parlons religion, mœurs, rencontre avec l'autre. Son aversion des islamistes s'explique notamment par des fiançailles qui ont tourné à l'aigre avec un de leurs représentants. Son ex-belle-mère lui a laissé une impression pimentée et les polémiques sur la notion de respect de la religion, sur ses multiples dévoiements possibles, ont dû être animées. Espérant trouver la consolation auprès d'un Européen, elle est tombée sur un maniaque de l'avarice, qui lui infligeait des décomptes expiatoires et minutieux du temps passé au téléphone et des scènes mémorables pour les frais engendrés. Espérons qu'elle ait l'occasion de faire souche dans des circonstances plus épanouissantes, car elle a de très belles choses à transmettre. Encourageant ma quête d'une autre culture, elle me cite le Hadith selon lequel «Celui qui apprend la langue d'un autre peuple évite le mal.» Comprenant les projets définitifs qui se trament à son encontre, il peut aviser à temps. Cette parole prudente traduit bien le climat qui prévalait à l'époque, les luttes entre tribus rivales qui ne connaissent pas le dénouement ritualisé et mesuré qu'assure un pouvoir étatique fort. Nous échangeons nos adresses et je regretterai vivement de ne pas arriver à revoir cette femme avant mon départ. Munie d'un petit tapis berbère en poils de chameau, qui couvrira ma chaise de travail, je prends, à regret, congé.
Sur notre chemin, une écharpe de parfum capiteux et frais nous enveloppe soudain : le vendeur de jasmin, un des emblèmes de la Tunisie, croisait notre route. Dans une jolie corbeille, il transporte de petits bouquets d'une vingtaine de fleurs assemblées. Des brins de paille en rallongent les tiges. Des fils, entourant le bouquet, assurent l'homogénéité du tout et il est possible de libérer les corolles, tenues fermées. Cette voluptueuse fragrance fait un instant oublier les relents sournois qui guettent trop souvent le passant au coin de la rue, vu la vétusté et la surcharge du réseau des égouts, problème récurrent dans presque toutes les villes arabes visitées jusqu'à présent. Ces bouquets ont la beauté des mandalas : tant de peine pour un résultat que l'on sait si provisoire. Je pense aux jolies petites mains à la peau mate qui ont confectionné ces perles de bonheur sensitif, avec une précision répétée, qui se perd dans le temps. Ce sont essentiellement les hommes qui achètent ces bouquets, le plus souvent pour se les glisser derrière l'oreille, selon un code bien établi. Réceptive au monde sensuel des odeurs, je suis séduite et enchantée par ces ex-voto offerts au raffinement. A l'issue de la journée, en me retournant dans mon lit, j'essaye d'imaginer nos vignerons vaudois rougeauds, au physique lourd, harnachés de fleurs parfumées. Cet anachronisme me conduit avec un grand sourire dans un sommeil de velours.


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