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Les limites de l'expression
Les bonnes feuilles
Publié dans La Presse de Tunisie le 06 - 07 - 2011

Nous entamons la publication des bonnes feuilles du récent ouvrage d'un récit de voyage de Yvonne Bercher, auteure suisse, qui a pour intitulé « Récits et réflexions d'une touriste sous l'ère Ben Ali ».
En 2006, 2007 et 2008, l'auteure qui s'est rendue en Tunisie, a accumulé une expérience à la fois sensitive, affective et intellectuelle d'un voyage dans un pays où le feu était déjà sous la cendre.
Bien avant la fuite de Ben Ali, la spontanéité avec laquelle, prenant des risques significatifs dans des contrées non démocratiques, des gens du peuple ont émis d'acerbes critiques sur leur propre pays m'a stupéfaite. Aussi fidèlement que possible, je me suis efforcée de leur donner la parole, en les dotant d'un pseudonyme, pour éviter de les mettre en danger.
Pour celui qui s'est confié à un oiseau de passage, une publication peut déployer un effet ravageur. En 1956, Dominique Lapierre et Jean-Pierre Pedrazzini obtenaient, chance inouïe, l'autorisation de parcourir l'URSS sous Kroutchev. La parution de leur reportage dans Paris Match entraîna des sanctions drastiques pour le journaliste russe désigné pour les encadrer et les surveiller. Il fut voué aux gémonies du régime. Visiblement, ces deux vadrouilleurs imaginatifs et intrépides l'avaient séduit, faisant de cet argus un complice, un traître. Pour se dédouaner, le malheureux commit, sous la pression qu'on imagine, un article au vitriol sur le «reportage à l'occidental», mais cette stratégie du désespoir n'impressionna personne. Il fut expédié déguster le frais sibérien.
A la faveur d'incursions sur d'autres continents, mon regard sur la société dont je suis issue a changé, devenant nettement moins sévère vu les possibilités qu'elle offre. La contemplation de réalités sociales nouvelles a tempéré mon jugement sans concession des dysfonctionnements de ma propre communauté. Elle a aussi structuré mon identité d'Européenne.
Partout, des pratiques, des institutions pourraient être améliorées. Partout, des individus se conduisent mal, avec ou sans excuses. Une certaine orthodoxie de l'autoflagellation occidentale, qui a le vent en poupe, voudrait que, dès qu'un voyageur passe la frontière de son pays, il ne s'autorise que des commentaires élogieux, voire inoffensifs. Je refuse pour ma part à sacrifier à cet usage bêlant, y voyant une forme de condescendance pour le pays visité. Echanger amène souvent à confronter, parfois âprement, des points de vue opposés, ce qui peut très bien se pratiquer dans une déférence irréprochable. Certains m'ont reproché d'oser écrire après si peu de temps de vadrouille, sans jamais toutefois fixer le seuil temporel à partir duquel on cesse d'être un prétentieux. Le ressenti personnel, je le présente comme tel, et les conclusions que j'en tire, je m'efforce de les étayer par des références variées, émanant si possible de natifs des pays visités.
Ecueils de
«l'interculturel»
Positiviste républicaine, héritière féministe de mai 68, voyageant dans des pays musulmans, avec fascination et entêtement, je me confronte, année après année, à un mode de vie issu d'une idéologie qui me heurte frontalement.
Pesanteur du qu'en dira-t-on, absence d'intimité et de reconnaissance de l'individu isolé de sa tribu, monopolisation de tout l'espace public par les mâles, poids de la tradition, je rencontre des éléments contre lesquels, dans ma propre trajectoire, je me suis nettement positionnée, parce qu'ils oppriment l'individu et représentent la négation de son libre arbitre. Souvent, j'ai l'impression d'évoluer en terre hostile. Passée la réaction émotionnelle, l'analyse se doit de prendre le relais. Elle conduit à admettre que ces immenses décalages constituent par essence le défi d'un dialogue constructif. Pour une disciple de Mahomet, issue d'une société traditionnelle, et qui en a intériorisé la façon de penser, le mot honneur ne recouvre à l'évidence pas la même réalité que pour une Occidentale éprise de laïcité. Gardons simplement à l'esprit que dans l'islam, comme dans toute autre religion, il existe des courants libéraux et des tendances rétrogrades, et que les premiers font nettement moins parler d'eux que les seconds.
Raconter, expliquer, c'est aussi tenter de dissiper les malentendus qui reposent sur une mauvaise interprétation de certaines notions, locutions, attitudes, traditions. Dialoguer avec l'Autre permet d'enrichir sa propre identité, de l'affirmer et de l'affermir. Combien de désastres on éviterait, si les peuples arrivaient à se parler au lieu de se crisper par des réflexes identitaires, de se cramponner à leur drapeau, persuadés, pour des raisons d'étiquette et d'interprétation, d'être menacés dans leur noyau dur.
Lorsqu'un musulman fixe un rendez-vous, ou énonce une intention, il termine le plus souvent sa phrase par Inch Allah, (si Dieu le veut). L'Occidental cartésien aura tendance à voir dans cette expression une marque de nonchalance, qui indiquerait le peu de cas fait par l'interlocuteur du projet et ce genre de biais saccage la compréhension mutuelle. En réalité, le musulman exprime simplement l'idée que face à l'obstacle inéluctable posé sur son chemin par le destin, il s'incline. Faisant preuve de prudence et d'humilité, il reconnaît expressément l'existence d'une marge d'incertitude, inhérente à tout projet humain. Il souhaite sincèrement que le rendez-vous ait lieu, fera tout son possible pour parvenir à cette fin mais il admet néanmoins que, face à un cas de force majeure, l'on soit désarmé.
Evoquons encore cet autre exemple de difficulté de se comprendre, entre deux mondes aux valeurs différentes. Combien de fois j'ai entendu des Européens, de retour au pays, vitupérer contre l'habitude du marchandage dans les souks, pratique gênante pour eux, à la limite de l'indignité. Lorsqu'ils étaient petits, on a appris à ces Occidentaux qu'il était malséant de parler d'argent, réalité pourtant incontournable de notre vie, qui en détermine aussi bien les grandes lignes que les détails. Et voilà que, de but en blanc, ils vont être obligés, loin de chez eux, privés de repères, de s'affronter sur ce terrain glissant avec un inconnu, issu d'une culture qui n'est pas la leur. Cette discussion autour du prix d'un objet les mettra sur le gril, les culpabilisera peut-être, car ils ont conscience du fossé qui sépare leur condition économique de celle de leur interlocuteur. Ils se rappelleront subitement que, pour accéder à l'eldorado dans lequel ils vivent, chaque année, des êtres, jeunes pour la plupart, s'arrachent à ceux qu'ils aiment, laissent tout derrière eux et risquent leur vie. Ils réaliseront que, face à la menace de la maladie et d'autres dangers, des millions d'êtres humains vivent sur la corde raide, comme des funambules. Crime de lèse-majesté suprême pour un Occidental. Ils verront le marchandage comme une perte de temps.
Pour le vendeur, rivé dans une boutique héritée de son père et qu'il transmettra probablement à son fils, sans perspective de se confronter à d'autres horizons, il s'agira, au contraire, d'un divertissement qui permet de faire connaissance, de tester les capacités humaines de l'interlocuteur, tout en bavardant paisiblement autour d'un thé à la menthe. Doté d'une capacité d'observation aiguisée par les innombrables transactions, le vendeur captera les plus petites manies de l'acheteur, son rapport à l'Autre, comme à l'argent.
Proscrire le marchandage prive d'un plaisir. Lorsqu'on y est bien rodé, cela peut devenir un acte ludique, qui ne débouchera même pas forcément sur une transaction, mais permettra un échange, acte humain par excellence. «Négocier un objet, c'est le lier à une histoire», me soufflait un subtil Iranien aux yeux de braise, qui, depuis quelques lustres, vend avec ses deux filles les plus beaux tapis de Genève.
(A suivre )


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