Les bâtiments sont des êtres. On les aime. On les méprise. Ils nous marquent ou ils nous indiffèrent. Ces êtres meurent ou sont blessés. Une bombe. Un incendie. Un tsunami. Des fois, ils rendent l'âme, des fois, ils sont rétablis; on les achève ou on leur sauve la vie. Géant, par exemple... Il y a six mois, il était tombé dans un coma profond. Attaqué, étranglé, torturé, pillé, piétiné puis brûlé vif. De réanimation en soins intensifs. De massage cardiaque en intervention à cœur ouvert. De greffes en implantation de prothèses. De longues séances de rééducation en suivi psychiatrique. Les siens n'ont ménagé aucun effort pour sauver l'être cher. Puis miracle, en ce jour de juillet : Géant s'est réveillé. Il est conscient. Il a d'abord ouvert une porte, puis deux. Il commence à recevoir des visiteurs. Les médecins veillent au grain et conseillent de limiter ces visites, jusqu'à ce qu'il soit complètement rétabli. Les siens étaient très contents que ses jours ne soient plus comptés et lui ont consacré une exposition géante. Une centaine de photos qui racontent son enfance paisible et décrivent le jour du drame. Disposées side by side, ces photos montrent, tantôt, des scènes de la vie antérieure dans les rayons et les magasins, quand il ne s'était encore rien passé, tantôt un amas de pierres et de cendres quand Géant a été pris d'assaut. Point n'est besoin de décrire ces images. De toute façon, elles sont indescriptibles et il faut vraiment aller les voir sur place. Et si vous allez les voir, vous n'échapperez pas à la conclusion que cet édifice est un être qui a connu la vie, la mort puis la survie. Des milliers de gens ont déjà vu ces photos, silencieux, tristes, soucieux. Ces images exerceront sur vous un mystérieux effet. C'est fou, en effet, ce qu'il est bouleversant l'effet «avant et après» que dégagent ces photos. Mais sur place, on est soulagé en quelque sorte, car, on sait qu'une fois les travaux terminés, on lira l'exposition dans le sens contraire : l'avant deviendra l'après et l'après deviendra l'avant. Jamais exposition en Tunisie n'a été si dramatique, si forte, si réaliste et si poignante. Jamais exposition n'a été si proche des visiteurs.