Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Quand on interroge nos concitoyens sur leur peu d'empressement à aller s'inscrire sur les listes électorales, la réponse est presque invariablement la suivante : «Pourquoi voter, rien n'a changé depuis six mois ! On se moque du monde !».Ce jugement devrait, d'urgence, nous interpeller car, quoique excessif, il n'est pas, hélas, à y bien regarder, sans fondement. Excessif, bien évidemment, car il ne tient nullement compte des avancées démocratiques apportées par la Révolution de la dignité, dont, et simplement à titre d'exemple, la liberté d'expression, les multiples dispositions juridiques pour préparer les premières élections libres et transparentes du pays et autres commissions d'investigation sur des faits de corruption ou de violences subies par des citoyens depuis le 17 décembre dernier. Il n'en demeure pas moins que ce jugement n'est pas totalement dénué de vérité si l'on en juge d'après les nouvelles de ces tout derniers jours, les unes plus affligeantes que les autres et toutes révélatrices de la situation fort délétère que nous vivons ! Il suffit de constater, tout d'abord, comme on est loin de nous être assuré les indispensables piliers d'une transition démocratique réussie, à savoir une police épurée et définitivement vouée au service du citoyen,une justice saine et débarrassée de ces éléments notoirement corrompus et des médias responsables, objectifs et crédibles. Or les faits sont têtus et irrécusables ! Ici, à la Cité Zouhour, Tahar Melliti, un jeune de 19 ans, admis dernièrement au baccalauréat, décède après douze jours de soins intensifs à l'hôpital de la Rabta, suite à une arrestation musclée et à un passage à tabac en règle par les forces de l'ordre et cela sous les yeux de sa mère ! Les agents responsables de l'arrestation du jeune Tahar pour une anodine altercation avec une voisine imputent, eux, ce décès à des antécédents de santé et, plus précisément, à des problèmes d'hépatite ! Ainsi donc les mêmes méthodes répressives d'antan demeurent en vigueur ! Qu'on ne vienne pas donc nous parler d'une police citoyenne qui aurait mis au rancart ses tortionnaires, car ce serait là, proprement, se moquer du monde ! Ailleurs, au Palais de Justice de la capitale, les barons du régime défilent les uns après les autres depuis des mois, puis, très souvent et pour la plupart, en sortent libres sans être inquiétés ! Pire, certains de ceux sur qui pèsent le plus de soupçons de corruption sont élargis après des semaines, voire des mois de détention ! Aucun communiqué ne vient éclairer les citoyens que nous sommes sur les raisons de ces arrestations ni, surtout, sur ces surprenantes libérations ! Que le bénéficiaire de cet élargissement soit un ancien ministre de la Justice et grand thuriféraire du potentat fuyard ou un ancien secrétaire général du RCD ! Sans oublier, même si cela ne se situe pas sur le même plan que les précédentes libérations évoquées ici, le scandaleux élargissement de ce conducteur de métro impliqué dans la mort d'un passant et qui fut libéré suite à la grève strictement corporatiste observée durant une journée par ses collègues ! Circulez, il n'y a rien à voir ! La justice a besoin de discrétion, nous dit-on ! Et la justice transitionnelle, vous connaissez, Mesdames et Messieurs les magistrats ? N'est-ce pas encore se moquer du monde que d'annoncer d'une manière tonitruante l'arrestation des symboles honnis de l'ancien régime pour ensuite nous doucher avec leur libération inexpliquée ? Quant aux médias, il y aurait trop long à dire sur leur compte, surtout s'il s'agit de notre vaillante chaîne El-Watanya ou de Radio Jeunes qui n'ont plus rien d'officiel et dont les partis-pris les situeraient, plutôt, dans l'opposition ! Il ne faudrait évoquer ici que pour mémoire le flagrant et désolant manque de professionnalisme du personnel d'El-Watanya, ou encore le maintien en fonction de ces figures qui nous rappellent, hélas, une époque que l'on aimerait tant oublier et durant laquelle ils étaient la simple et servile voix de leur maître ! N'est-ce pas encore se moquer du monde que de croire qu'il suffit d'offrir le plateau à Hamma El Hammami ou à Rached Ghannouchi pour que l'on nous persuade que cela présente le nec plus ultra du changement et de l'indispensable rénovation de la ligne éditoriale ? Mais comme si tout cela ne suffisait pas pour nous créer un climat lourd et plombé, la deuxième semaine de Ramadan s'annonce déjà assez perturbée ! Qu'on en juge d'après les déclarations fracassantes du secrétaire général du syndicat des magistrats qui dénie à l'exécutif provisoire le droit d'opérer l'habituel mouvement de magistrats ou encore d'après les divers préavis de grève. Les fonctionnaires civils du ministère de la Défense, et c'est une première, entameraient une grève de trois jours à partir du 8 août. Les employés de la Société des transports du Grand-Tunis, après avoir observé des arrêts de travail en janvier et en mars derniers déjà, remettent ça, sans égard aux jeûneurs qui en pâtiront par ces temps de canicule ! Des revendications matérielles sont toujours à l'origine de ces mouvements syndicaux égoïstes, sans aucune pensée pour ceux qui, eux, sont à la recherche d'un emploi et qui sont amenés à des comportements désespérés, et non moins blâmables, comme celui d'interrompre la circulation sur le pont mobile de Bizerte et celui reliant Radès et La Goulette ! Tous ces faits laissent clairement prévoir un risque évident de démobilisation des citoyens ordinaires qui ont cru en les promesses de la Révolution de la dignité pour plus de justice sociale et qui ont réclamé également, avec une grande détermination, le châtiment de tous ceux qui ont pillé le pays durant deux décennies ainsi que celui de leurs nombreux complices. Ajoutez à cette résignation devant une situation de plus en plus politiquement- floue, opaque et incertaine, les désagréments que causent certaines regrettables perturbations de la vie quotidienne, les violences exercées contre des non-jeûneurs comme à Jendouba vendredi 5 août, bref la peur de l'anarchie rampante qui nous menace. Bientôt, il ne sera plus absurde alors de prévoir que le fameux parti de l'ordre et de la stabilité sera de retour au grand bénéfice des forces occultes qui lui auront largement préparé le terrain! Ce jour-là, les Rcdistes et leurs nouveaux acolytes auront emporté la mise et sifflé la fin de la récréation ! Alors, disons haut et fort que l'on accepte plus que l'on se paie notre tête comme lorsque l'on fait mine de confondre violences policières meurtrières et jaunisse ! Comme lorsque des magistrats liés à l'ancien régime font la courte échelle à des symboles de la corruption pour que ceux-ci se retrouvent à l'air libre ! Comme lorsqu' une télévision anciennement aux ordres cherche à se faire une nouvelle virginité en pratiquant la surenchère qu'elle prend pour de l'objectivité ! Comme lorsque des grévistes et sit-inneurs se trouvent manipulés en douce par de sombres fauteurs de troubles dont le chaos est l'ultime horizon ! Alors que tous ceux qui n'acceptent pas qu'il soit ainsi brutalement mis fin à la Révolution et à l'espoir d'une Tunisie libre, moderne, tolérante, égalitaire et démocratique fassent entendre leur voix et disent que le peuple n'est pas dupe !