La promotion des ressources humaines en général et le développement du secteur de l'éducation en particulier constituent l'épine dorsale du projet de société dont les contours ont été tracés depuis l'Indépendance. A la faveur des investissements matériels estimés, bon an mal an, à près de 8,5% du PIB et à des réformes continues des divers aspects du dispositif national de l'éducation, notre pays a réalisé des résultats probants dans ce domaine dont certains passent même pour des records mondiaux. Cependant, après cinquante ans d'existence, penser que l'université tunisienne est en crise dénote de l'euphémisme. C'est qu'il est des questions qui deviennent maintenant d'une urgence extrême et l'avènement de la révolution nous offre l'occasion de les poser ici en toute clarté. Car, nonobstant les classements auxquels recourent les instances internationales, et qui mettent à la traîne des pays développés nos universités, il n'est plus étonnant dès lors de découvrir qu'on caracole au bas de l'échelle des 500 premières universités dans le monde. Loin de nous, l'idée de nous lancer dans les ronces inextricables du jeu des expertises qui ont trop fait preuve de leur capacité de nuisance. Il n'en demeure pas moins important de s'interroger sur les raisons d'une «dérive» plus que préoccupante de notre université. Force est de reconnaître, que depuis des années, nos institutions d'enseignement supérieur vivent dans un imbroglio inquiétant. Et comme première préoccupation, surgit l'éternelle litanie qui veut que le niveau de nos étudiants soit toujours en baisse. Car, bien qu'elles parviennent à diplômer une partie sans cesse grandissante des étudiants, les diplômes qu'elles leur délivrent ont une valeur de plus en plus incertaine sur le marché de l'emploi. C'est que sur le plan de la recherche, c'est une université qui perd chaque année davantage de terrain et enregistre de plus en plus la fuite des cerveaux à l'étranger. A cela s'ajoute le désarroi croissant de la communauté universitaire face à l'incertitude croissante sur les flux et sur les motivations des étudiants, dans une option d'enseignement de masse sous un déluge de réformes au nom de l'excellence. Un autre hiatus et non des moindres ; les querelles des enseignants-chercheurs qui ne songent uniquement qu'à eux et à leur carrière et qui ont peu ou prou le sens du collectif presque toujours dans l'ignorance absolue du devenir de leurs futurs diplômés. Finis les temps où chacun jalousait le statut de l'universitaire auquel on aimait tant accéder. Kafkaïenne ou ubuesque, on hésite sur les qualificatifs, mais cette dégradation du statut des universitaires a plongé l'institution scientifique dans une crise du savoir. Et c'est en raison des défis qui se posent à l'université et des bouleversements qui ont affecté les modes d'apprentissage et les ressources de connaissances, que les résultats des enquêtes effectuées ont montré l'absence d'harmonie et l'inadéquation de l'enseignement supérieur tunisien avec les besoins de l'économie nationale. Marché international du savoir Conscients de la gravité de cette situation, plusieurs investisseurs privés ont appréhendé un nouveau créneau, celui de l'enseignement supérieur privé. Car, même si l'investissement privé dans l'éducation est relativement récent, son potentiel trouve ses origines dans les richesses générées par cette activité qui vont bien au-delà des activités de la recherche et de la formation. A titre d'exemple, les universités de Stanford (université privée) et Berkley (université publique) en Californie ont largement contribué au développement de la «Silicon Valley» et des villes satellites qui les entourent. L'immobilier dans cette région est des plus chers aux USA. Ainsi, avec l'émergence de l'économie du savoir, l'enseignement supérieur est devenu un secteur stratégique pour le développement du niveau de compétitivité des entreprises et des pays, durant la dernière décennie. De ce fait, le secteur a connu de profondes mutations, notamment par le biais de sa transformation d'un «service public du ressort de l'Etat» à un «outil de développement du capital humain». Ce qui a abouti au développement du «marché international du savoir. De ce fait, sa privatisation et sa globalisation sont devenues inéluctables. Plusieurs pays, dont la Tunisie, ont introduit des mécanismes législatifs et réglementaires et des incitations financières pour favoriser le développement des universités privées et s'arracher une place de choix dans ce marché. Par conséquent, le secteur est devenu une industrie de services à part entière faisant l'objet d'une concurrence acharnée entre pays et universités. Sa professionnalisation avec l'intégration de la formation continue parmi ses principales activités. C'est dans ce contexte que s'inscrit la libéralisation du secteur en Tunisie. En effet, étant convaincus du rôle stratégique de l'enseignement supérieur dans le processus de développement, en ligne avec la vision d'une Tunisie scientifiquement rayonnante et ouverte sur l'environnement international, et dans le cadre de la nouvelle loi favorisant le développement d'un secteur universitaire privé performant, plusieurs universités privées ont vu le jour. Elles se sont fixé pour objectif le développement d'un pôle universitaire régional d'excellence pour contribuer au développement du pays et faire de la Tunisie un exportateur de services éducationnels. C'est un nouveau combat. Celui d'une université performante à même de réaliser des objectifs qualitatifs, notamment au niveau de la formation de compétences scientifiques dans toutes les spécialités et dans tous les domaines et l'établissement d'une interaction fructueuse avec l'environnement économique et professionnel. Aujourd'hui, plus de 12.500 étudiants sont inscrits dans les établissements d'enseignement supérieur privé, fréquentant ainsi près de 34 universités privées.