• Après «l'éviction» d'un premier contingent de juges, d'autres suivraient... incessamment • Nouvelle réforme du ministère en vue • Le couloir de la mort du Palais de Justice sera-t-il détruit? De l'avis d'un vieux juriste, un vrai vademecum en matière d'investigation, jamais le ministère de la Justice n'a connu, depuis sa création, des déboires aussi nombreux et fracassants qu'en ce moment. Hier temple inexpugnable et citadelle érigée en ... bunker, ce département stratégique non seulement imposait le respect mais aussi semait la peur et servait de terrain de prédilection pour la poussée des épines de la corruption et des règlements de comptes. Que d'injustices ont été commises sous ses toits. Que de complots y ont été tramés... Que de gens innocents l'ont quitté dare-dare à destination des prisons, menottes aux mains ! Manipulé, instrumentalisé à outrance, s'il servait de chasse gardée pour une redoutable mafia que rien, absolument rien, n'empêchait de commettre ses crimes à des fins politiques et affairistes. Le bon peuple, lui, ne pouvait, à l'époque, piper mot, contraint qu'il était d'avaler la pilule, de crainte de se retrouver, à son corps défendant, sous les verrous! Plus de 50 ans après, un autre constat amer : on n'est pas encore sorti de l'auberge... De Bab-Bnet! Là où les bases arrière de la corruption semblent avoir, du moins pour le moment, résisté aux fracas du séisme de la révolution du 14 janvier. De beaux restes Effectivement, la vérité est là, à la fois malheureuse et troublante : la corruption judiciaire, si elle a quelque peu faibli, n'en demeure pas moins combative. Elle a même conservé de beaux restes, comme en témoignent la présence dans ses arcanes de symboles de l'ancien régime, la montagne de dossiers brûlants en suspens, la libération de l'ex-ministre de la Justice, la fuite de Saïda Agrebi, la lenteur criarde dans le traitement des affaires dites «sensibles», particulièrement celles dans lesquelles sont impliqués les membres du clan de Zaba. Des failles monumentales qui ne peuvent qu'inciter au doute quant à l'indépendance de la justice et à la sainteté de son corps opérationnel. L'Egypte, qu'on a précédée d'une révolution identique, a fait mieux que nous, à la faveur d'une avancée remarquable en matière de jugement des symboles du régime déchu. Rien à voir, convenons-en, avec l'important retard accusé par notre appareil judiciaire dans ce domaine. Surgissent alors les interrogations suivantes : y a-t-il complaisance? Pourquoi cet errement perdure? Qui fait quoi au ministère concerné? A-t-on, quelque part, peur de payer les pots cassés? Qui redoute-on au juste ? Prenez les manifestants des derniers jours pour en avoir le cœur net. Deux ou trois d'entre eux affirment, à l'unisson, que «l'indépendance de la justice, terme avec lequel on ne cesse de nous rabattre les oreilles, est un vain mot. C'est la poudre aux yeux, quoi. Car, tant qu'on n'a pas mis en œuvre une véritable réforme de restructuration de l'appareil judiciaire, la mascarade continuera, avec toutes les conséquences désastreuses imaginables». Que de pain sur la planche Réforme : le mot est lancé. Le ministère de la Justice, sans doute désarçonné ces jours-ci par la fièvre d'une grogne grandissante de la population et de la société civile, s'est exécuté. Et cela par la prise d'une batterie de mesures, en signe de ... contre-attaque qui a tout d'un sursaut d'amour-propre. Ces mesures ont d'abord coûté leur place (autant dire leurs «trônes») à un premier contingent de magistrats soupçonnés d'être à la solde de Ben Ali. Un autre baron du Palais de Justice, accusé de complicité dans le scandale de la fuite de «Madame ATM» (Comprenez la ... sulfureuse Saïda Agrebi), a, lui, fait l'objet, à titre de jugement clément, d'une «mutation punitive» dans un autre tribunal! Continuant de rendre l'ascenseur, le ministère qui persiste à crier haut que «l'indépendance de la magistrature est irréversible» (sic) et que «les verdicts restent tributaires de la seule interprétation des magistrats et à l'arbri des recommandation particulières» (re-sic), a annoncé dernièrement «l'élaboration d'un ensemble de projets de décrets-lois prévoyant l'élection du Conseil supérieur de la magistrature en dehors de la tutelle du président de la République et du ministère de la Justice», tout en préparant un nouveau projet de loi organique portant statut des magistrats». Des propos qui s'apparentent à une offensive de charme à l'adresse d'une AMT (Association des magistrats tunisiens), encore ... en conflit avec la tutelle. Un conflit qui a pris du poids, après l'entrée en lice du Conseil de l'ordre des avocats qui n'a pu, lui non plus, cacher son ras-le-bol face à ce qu'il considère comme «une fuite en avant de l'appareil judiciaire, sur fond de scandales de corruption et de malversations», thèse d'ailleurs soutenue par la commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation qui, enfonçant le clou, fait état de «l'examen, jusqu'à présent, de plus de 3.700 dossiers dont les verdicts sont du seul ressort du ministère de la Justice». Curieusement, plus de la moitié de ces dossiers attendent encore d'être «dépoussiérés»! Salut Einstein... Au couloir de la mort Le démantèlement de l'appareil judiciaire devra, avertissent des experts en justice, toucher également (obligatoirement ?) le corps des avocats et ce qu'appellent les habitués du Palais de Justice «le couloir de la mort». Concernant les avocats, il est communément admis que certains d'entre eux font bon ménage avec les magistrats corrompus, intérêts financiers obligent et phobie de l'enrichissement illicite aidant. Deux exemples au moins le confirment : des avocats ont été récemment déférés devant les tribunaux pour moult délits (corruption, malversations, faux et usage de faux, etc.). Et ce n'est pas non plus un hasard si une affaire a éclaté ces derniers jours impliquant des avocats dits «les tireurs d'élite de Zaba» qui, adossés aux solides remparts du palais de Carthage, avaient, en toute impunité, fait des victimes, garni les prisons et accumulé des fortunes fabuleuses ! «Couloir de la mort», disions-nous. C'est là justement où régnaient, en dictateurs, des magistrats qui ne pardonnent pas, qui ne pardonnent jamais dans la gestion des fameuses affaires des règlements de comptes… recommandées d'en haut. Dans ce labyrinthe sombre, lugubre et digne des polars de James Bond 007, celui qui y passe en a pour sa peau et n'en sort jamais indemne. Si certains de ces ex-locataires y ont été délogés, au lendemain de la révolution, d'autres y ont encore droit de cité ! Jouent-ils les… prolongations ? Ou sont-ils carrément indétrônables ? Changements en vue ? Dans la foulée, le ministère concerné semble se plaire encore dans son rôle défensif. Se voulant rassurant, il continue à laver devant sa maison, dans l'espoir de tempérer les ardeurs de ses mécontents. Au point qu'on y parle de «changements en vue qui précipiteraient la chute d'autres têtes et, au final, la restructuration, de fond en comble, de tout l'appareil judiciaire». Et si le ministre lui-même venait à… être délogé, comme le laissent entendre certaines rumeurs qui ont fait ces derniers jours le tour des tribunaux du pays…