Par Abdelhamid Gmati Beaucoup de malversations, beaucoup de distorsions, beaucoup de méfaits, beaucoup de saloperies ont cessé, ou, du moins, ont fortement diminué depuis la révolution. Mais il en est une, sans doute, la plus pernicieuse, la plus dangereuse, qui persiste et s'étend‑: la manipulation. La dictature a usé de tous les moyens pour nous asservir et en particulier de la manipulation. C'était primordial de nous faire croire ce que ce tyran voulait, de nous braquer sur les sujets anodins, de détourner notre attention et notre intérêt des sujets nationaux importants, bref de nous faire prendre des vessies pour des lanternes et d'aiguiller nos réactions, nos passions, nos intérêts vers les thèmes choisis. Une sorte de lavage de cerveau. Il fallait faire de nous des sujets malléables à souhait, crédules et obéissants. Consciemment ou inconsciemment. Cela n'a pas changé. Au contraire. Préalable : il est clair que la révolution déclenchée par une partie de la population marginalisée, appauvrie, excédée, a été récupérée. Par quelques élites et toute une multitude de pseudo-révolutionnaires, qui poussent comme des champignons, créent des partis, des associations et (ou) se proclament «porte-parole du peuple», et aussi par les forces «du passé» qui ne désarment pas. Tous ces gens ont des intérêts et poursuivent des objectifs plus ou moins avoués, plus ou moins avouables. Mais tous nous prennent pour des marionnettes et se jouent de nous. Les méthodes sont connues. Avez-vous remarqué que tout ce beau monde se préoccupe de l'information ? Régulièrement, directement ou indirectement, presque quotidiennement, on nous parle de la réforme de l'information. Surtout des personnes qui n'y comprennent rien. Pourquoi ? C'est que les médias, traditionnels (journaux, télés, radios) ou nouveaux (presse électronique et réseaux sociaux), sont la base indispensable à la manipulation. On désigne volontiers la presse (en fait, tous les médias) comme étant le «quatrième pouvoir». Faux, si l'on considère l'action politique. Là c'est le «premier pouvoir». La dictature a fonctionné, entre autres, par la mal information, la désinformation, la rumeur, le mensonge, etc. Les nouveaux venus, et les anciens, sur la scène politique, veulent faire de même. Toutes les méthodes sont utilisées : on a eu droit à la diversion (débats stériles sur l'identité, la religion, révélations inattendues de témoins déjà connus…), création de troubles et de problèmes (sit-in, grèves, occupation de locaux, actes de pillages…), détournement des sentiments de révolte (accusations contre les barons du régime, le ministère de l'Intérieur et les forces de sécurité, magistrats, avocats, hommes d'affaires…), exaspération des réactions émotionnelles (les martyrs, leur sacrifice, situation de leurs familles, pauvreté des régions et des habitants…), culture de la médiocrité (émissions de téléréalité, sitcoms innommables, feuilletons déplorables, concours, variétés…), actions dites «humanitaires» et surtout la surinformation. Un véritable bombardement d'informations dont on ne sait la part de véracité ni celle de l'intox et de la rumeur. La surinformation accroît la vulnérabilité de l'individu aux messages les plus farfelus. Les exemples sont nombreux. L'inquiétant, c'est cette culture de la médiocrité, ces efforts de déclencher l'émotion au lieu de la réflexion, cet acharnement à lasser l'individu et à susciter le désenchantement (en ne parlant pas de ses problèmes réels). Herbert Marcuse affirmait que les médias sont l'instrument d'une manipulation qui viserait à rendre les sociétés irrationnelles, totalement «intégrées et passives comme elles ne l'ont jamais été». On l'a vécu chez nous, on l'a constaté ailleurs (aux USA, par exemple, à la veille de l'invasion de l'Irak). «Les récupérateurs» dont on parlait plus haut se familiarisent de plus en plus avec les techniques de la manipulation, s'adonnent au jeu des marionnettes. Les marionnettes bougent parfois à contresens tandis que les champignons, qui sont aussi des parasites, ne produisent pas de fleurs.