Par Mohamed Salah Bachta* Le contenu de la réforme qui sera exposé ci-après est structuré autour de deux principes majeurs distincts mais non moins interdépendants. Le premier recommande la reconnaissance de la diversité des réalités des céréaliculteurs et le second préconise la prise en compte de la variabilité climatique lors du paiement des producteurs. Un dualisme aussi bien structurel que technologique caractérise les céréaliculteurs. De grandes exploitations de plaine bien équipées contrastent avec des unités de production de faible taille. Ces dernières sont en général mal situées ayant la forme de lanières sur les hauteurs. Contrairement aux premières, elles pratiquent des itinéraires techniques traditionnels. Elles font l'objet de processus érosifs particulièrement avancés ; leur production a donc un coût environnemental des plus élevés. Ce double dualisme se trouve prolongé par une diversité des stratégies de revenu adoptées par les agriculteurs. La recherche de la subsistance observée essentiellement au niveau d'exploitations de petite taille, mal situées est l'une de ces stratégies. Ce type d'exploitation ne livre à l'OC que l'excédent des productions, après la satisfaction des besoins de la famille. La stratégie d'appoint de revenu adoptée par des exploitants ayant des revenus extra- agricoles et gérant des exploitations de petite taille est une autre illustration de cette diversité. Les grandes exploitations en revanche adoptent en général une stratégie de préservation du patrimoine. Les propriétaires de telles unités de production profitent d'une rente différentielle de situation et se trouvent, en général, peu incités à intensifier et à diversifier leurs spéculations. Leur potentiel de production n'est pas totalement mis à profit. Pour les besoins de cet exposé, la diversité des exploitations sera représentée par uniquement deux catégories d'exploitations céréalières. La première regroupe les unités de production ayant des marges d'intensification honnêtement limitées. Il s'agit d'exploitations situées sur des hauteurs ou dans les étages bioclimatiques semi-arides inférieurs à arides. C'est une agriculture à caractère social. La deuxième catégorie d'agriculture est pratiquée par les exploitations des plaines du Nord recelant des marges d'intensification indéniables. L'étude « programme de développement du secteur céréalier » élaborée par la FAO en 1986 estime la superficie occupée par ces exploitations à près de huit cent mille hectares. C'est la céréaliculture intensifiable qui permet d'obtenir des rendements moyens pouvant atteindre les quarante quintaux par hectare. Le deuxième principe stipule qu'il y ait prise en compte de l'incertitude quant aux résultats physiques à obtenir par les céréaliculteurs suite aux importantes fluctuations des productions des céréales et partant des revenus des producteurs. Ces fluctuations sont largement déterminées par la pluviométrie, une variable non contrôlable par les céréaliculteurs. Il convient de relever que les prix annoncés en début de chaque campagne ne prennent aucunement compte de cette variabilité des productions. Il en résulte des fluctuations des revenus bruts de loin plus importantes que celles obtenues dans la situation où les prix refléteraient, un tant soit peu, les tensions sur les marchés des céréales, régulation par le marché. Autrement dit, la régulation actuelle des prix fait supporter la totalité du risque par les producteurs des céréales. En tant qu'agents économiques averses au risque, les céréaliculteurs n'adopteront pas, dans un souci de minimisation des effets de l'incertitude sur leurs revenus, les techniques de production les plus intensives, c'est-à-dire celles qui nécessitent les avances aux cultures les plus élevées. Ils ne sont pas incités à accumuler et l'essentiel de leurs épargnes sert à compenser les mauvaises années. Les deux catégories d'agriculture devraient être ciblées par des instruments complètement différents par la politique de régulation des marchés des céréales. Cette politique aurait un objectif essentiellement social, de maintien des populations et de protection de l'environnement pour la première catégorie. Des paiements directs couplés avec les prix administrés en vigueur et conditionnés par le respect de la fertilité des sols pourraient constituer l'évolution souhaitée. La mise à profit du potentiel production et son extension pour la deuxième est à réaliser à travers une politique de stabilisation des revenus. Celle-ci constituera une incitation suffisante à ces agriculteurs pour intensifier leurs systèmes de culture et réaliser une augmentation substantielle de l'offre nationale des céréales. Cette stabilisation de revenu peut être obtenue en complétant la politique des prix actuellement en vigueur par des paiements de compensation, positifs dans le cas de mauvaises années et négatifs dans le cas contraire. Ces programmes de paiement fonctionneraient comme un système d'assurance qui pourrait à terme s'autofinancer. Les impacts anticipés de cette réforme concernent, d'une part, la réduction du déficit externe par une augmentation de l'offre nationale et, d'autre part, le soulagement de la Caisse générale de compensation dû à l'achat des céréales, sur le marché national, inférieurs à leurs cours mondiaux. Ces suggestions d'amendement sont une première esquisse qui reste à affiner. Elles traduisent, toutefois, la nécessaire diversification du système de soutien des prix agricoles visant à mieux l'adapter aux réalités agricole, sociale et mondiale. L'affinement et l'évolution de ces propositions tant sur le plan du contenu qu'au niveau des aspects organisationnels de mise en œuvre dépendront du pouvoir revendicatif à acquérir par les céréaliculteurs et par leurs représentations. ------------------------------------------------------------------------ * Professeur à l'Inat