Par Habib DLALA* Dans le tumulte de la transition démocratique, les élections universitaires se sont déroulées discrètement loin des médias. Décidées et menées dans des conditions singulières sur lesquelles je ne reviendrai pas, elles ont permis de renouveler, en l'espace de deux mois, la plupart des organes de gestion des institutions universitaires. L'alternance effective à la tête de ces institutions a enfin commencé le premier août 2011. Mais bien plus importante encore est la refonte d'un système universitaire mal-en-point. Avant d'avancer quelques idées sur la nécessaire réforme de ce système, il n'est pas superflu de rappeler brièvement quelques anomalies regrettables. Les élections, qui se sont déroulées dans l'urgence et la précipitation, n'ont pas fait suite à un préalable obligé : celui d'une mûre réflexion sur la mission de l'université et sur le mode de gestion « gouvernanciel » qu'elle devrait adopter pour répondre aux nouvelles aspirations de l'économie et de la société tunisiennes. L'absence de vision sur le rôle de l'université et de compromis sur son avenir en font certes des élections légitimant des organes de direction, visiblement sans projet, opérant dans un contexte pour le moins transitoire, en attendant que la volonté politique de changement s'exprime, que les priorités nationales se précisent, que la recherche d'une logique de cohérence fasse apparaître les articulations institutionnelles nécessaires à la mise en œuvre des choix et que chacun puisse apprécier les avantages du débat et le goût de la concertation. Mais à l'approche de la rentrée universitaire, n'y aurait-il pas, au-delà de ces anomalies, une raison d'espérer de profonds changements et des améliorations substantielles de la matrice de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans sa globalité. Pour quiconque croit à l'élection des organes de gestion universitaires, le pire est de ne pas engager rapidement, dès la rentrée, la réflexion sur les réformes susceptibles de modifier le mode de fonctionnement de ces organes, les articulations organiques qui les lient et l'ensemble du système d'enseignement et de recherche scientifique. A cet égard, il est aussi fastidieux qu'inutile de procéder à une revue complète des différents aspects de la question universitaire. Il suffirait de souligner ceux qui ont une importance capitale dans l'immédiat. - Dans le cadre de leurs activités durant l'année universitaire 2011-2012, les nouvelles structures élues devraient, au sein de commissions de réflexion supervisées directement par l'Université, se pencher d'abord sur la refonte du système LMD. Etant donné l'importance des enjeux que représente ce système, la réforme LMD devrait être revue, remaniée, adaptée et réappropriée. Les canevas de programmes, ayant fait l'objet d'un émiettement et de montages aussi déroutants qu'absurdes, devraient être recomposés et simplifiés et le régime des examens rationalisés et allégés avant d'être adoptés par le conseil de l'université. - Etant donné l'impact de l'université sur le développement du pays et le progrès social de sa population, l'enseignement supérieur devrait s'orienter vers un système universitaire de qualité conforme aux standards internationaux, ouvert à l'entreprise et à l'international, permettant d'offrir des formations à vocation professionnelle, développer une recherche de pointe dans les sciences fondamentales et les sciences humaines et sociales aidant à un transfert utile de nouveaux savoir-faire à l'entreprise et à l'économie. - Il s'agirait aussi d'introduire la notion d'autonomie dans des plans triennaux dûment élaborés par les instances élues de l'université. Outre les objectifs relatifs à l'élargissement de ses prérogatives décisionnelles, managériales et budgétaires, l'autonomisation des universités servirait aussi à définir les indicateurs de performance à atteindre, à monter un ou deux grands projets permettant à l'université de réaliser un saut qualitatif susceptible d'innerver l'ensemble de ses établissements. Il s'agirait aussi d'octroyer aux universités les dotations nécessaires pour agir et développer ces établissements et en même temps les habituer au principe de responsabilité et de redevabilité. - Il conviendrait aussi de mettre l'étudiant dans de bons cursus pédagogiques et en situation d'apprentissage citoyen, préparer son insertion professionnelle et développer ses capacités communicationnelles et linguistiques quel que soit le domaine de formation qu'il a choisi. Il conviendrait aussi de faire en sorte qu'aucun étudiant ne quitte l'université sans diplôme et que des formations complémentaires ou de nouveaux cycles de formation soient offerts aux diplômés. - Il faudrait également donner de la dignité aux enseignants-chercheurs en les impliquant dans le fonctionnement de l'institution universitaire, en valorisant les tâches d'enseignement, de recherche et d'intérêt collectif qu'ils accomplissent et en modulant récompenses et avantages par niveau d'excellence en fonction d'une évaluation triennale de l'effort pédagogique et d'encadrement, ainsi que du nombre et de la qualité des publications. Les modalités administratives, scientifiques et éthiques des recrutements, des promotions et des distinctions devraient être reprécisées pour garantir impartialité et équité. - La communication scientifique étant nécessaire à l'évaluation publique des résultats de recherche et à leur intégration dans le champ de la connaissance et dans le monde de l'entreprise, il est important de veiller à la valorisation de ces résultats et ce à travers les circuits éditoriaux classiques spécifiques que représentent les revues à comité de lecture et de plus en plus à travers les nouveaux canaux et réseaux de diffusion télectroniques. Il est important aussi de mettre en réseau l'ensemble des structures de recherche et des compétences scientifiques nationales et d'exhorter les chercheurs à penser la complexité et à promouvoir une culture scientifique pluridisciplinaire, moins confinée, décloisonnée. - Enfin, l'enjeu de la reconnaissance et de la valorisation des sciences humaines et sociales inviterait les structures de l'université à promouvoir la visibilité de l'offre de réflexion conceptuelle et opérationnelle de ces disciplines notamment en matière de prévention, de gestion et de résolution des conflits socio-politiques. Les SHS devraient avoir l'ambition, quand cela est possible, de se placer dans le champ de la prospective ou de la prédiction. Elles devraient également participer à la construction de la collectivité humaine, de ses représentations et de ses institutions, à la conception de nouvelles solutions collectives et à l'élaboration de valeurs fondées sur la connaissance et le respect de l'autre. Si la dictature, par son mode de pensée unique, n'avait pas caché son aversion pour les prises de position intellectuelle, la Révolution tunisienne, par la liberté de penser qu'elle autorise, devrait pouvoir éloigner les SHS de la suspicion politique et les réhabiliter pour qu'elles puissent répondre convenablement à une demande sociale aujourd'hui pressante. En définitive, l'élection des organes de gestion universitaire n'est que le début d'un long processus non encore défini, non encore engagé. Dans ce processus, aucune position ne devrait être à l'abri d'une remise en cause. Pour réformer le système actuel, il faut une nouvelle attitude d'esprit tournant le dos à l'autoritarisme et non à l'autorité, admettant un mode de gestion gouvernanciel et non un mode de gouvernement hiérarchique centralisateur. La révolution devrait permettre à tous les acteurs de toutes les disciplines agissant dans l'enceinte de l'université, sans exclusive, d'exprimer leur aspiration à un enseignement de qualité, à l'innovation par la recherche scientifique et à une plus importante employabilité des formations et des diplômes, de combattre les pesanteurs bureaucratiques et la coercition administrative et de rendre aux lieux universitaires toute leur authenticité.