Par Bady Ben Naceur La révolution tunisienne nous a dévoilé aussi des choses étranges. Comme, par exemple, ces douleurs urgentes, douleurs de notre quotidien, ces peurs entretenues et avec lesquelles nous avons toujours marché, feignant de les ignorer parce que nous ne savions pas les affronter. Et encore moins, aujourd'hui, ou nous nous remettons totalement en question, à cause de la fausseté de l'idée… même de notre existence, sans balise d'aucune sorte, et que l'on nous faisait miroiter comme un possible eldorado. La révolution tunisienne se réclame aussi de ces douleurs urgentes qu'il va falloir aussi éradiquer pour ne pas demeurer dans la fabulation mensongère, mais plutôt vivre dans l'instantané, le réel, le concret… comme tout le monde. Une sorte de mise-au-pas que nous attendons de la psychiatrie qui ne se manifeste pas encore dans nos murs, par ces temps révolutionnaires. A l'exception, peut-être, de tel psychiatre invité dans le salon de certaines dames-pirêtresses, où il est de coutume de palabrer de tout et de rien. Et notre psychiatre à qui la parole fut donnée tout entière et, dont on attendait beaucoup de ses vérités (bonnes ou mauvaises) à dire. «Entendons-nous bien, fit-il remarquer, dès le début cette révolution est celle de la jeunesse qui n'a pas de vieux ressorts usés comme les nôtres. C'est une révolution qui est à la fois inquiète, sensible, franche, humaine, mais aussi impulsive et colérique quand il le faut. En un mot, elle est passionnée. Donc, je ne parlerai pas de la jeunesse tunisienne qui a bien des choses à nous dévoiler, encore et encore. Il me semble d'ailleurs qu'elle est tout à fait saine dans ses élans et sa démarche. Le problème, c'est plutôt nous, les adultes d'une autre époque, et pour certaines et certains d'entre vous, de deux époques, depuis l'Indépendance du pays. L'être que nous fûmes, dès le départ, était un être “schématique”, c'est-à-dire un être qui n'est pas capable de rendre compte de sa propre réalité. D'abord, à cause, pour certains cas, des souffrances impitoyables durant la prime enfance : parents divorcés, maltraitance, etc. Ensuite, à cause des difficultés insurmontables d'adulte. Enfin cette pénible traversée «en solitaire», durant deux régimes dictatoriaux complémentaires. Comment voulez-vous, dès lors, que cet être puisse être affranchi de cette schizo, cette “fente” qui ne lui permet pas de développer complètement sa raison d'être à ce monde, d'une manière détaillée et nuancée ? Schizoïde donc, il est comparable à celles et ceux, beaucoup d'entre vous, et dont la constitution mentale, à force d'être ébranlée, l'a toujours prédisposé au repli sur soi et à la difficulté d'adaptation aux réalités extérieures. Cet état est celui de la Schizoïdie ou Shizothymie, et qui mène tout droit à la schizophrénie. «Et dans l'assistance éberluée, une voix de mezzo-soprano qui s'élève progressivement. Nous sommes des schizophrènes!!!» Et L'intervenant, soucieux, de faire avancer ses propos descriptifs, de couper court à cet étonnement : «Nous verrons votre cas une autre fois!» Et de continuer sur sa lancée. «Etant déjà, au départ, un être schématique, il est donc devenu un schizophrène. Mais un schizophrène tout de même conscient de sa situation. Une situation d'éveil permanent, malgré le repli sur soi. Un repli sur soi nuancé et que Antonin Artaud résume en ces termes : «Un impouvoir à cristalliser, inconsciemment, le point rompu de l'automatisme, à quelque degré que ce soit». Je vous explique cette citation. Il y a, d'abord le terme d'«impouvoir», c'est à dire d'impuissance manifeste qui est à l'origine de quelques dérèglements en vous. Du point de vue de la pensée et même des sens et c'est un sujet sur lequel nous travaillerons en profondeur la prochaine fois. Ensuite la «cristallisation» qui est dans la technique du roman chez Stendhal, une illusion mirifique d'enrichir un sentiment ou même l'idée d'un sentiment, à l'exemple de la vieille branche trempée dans des cristaux de glace et offrant ainsi une métamorphose gracieuse et d'une richesse insoupçonnée…» Nous laisserons notre orateur à ses palabres, pour revenir à ces douleurs urgentes que nous vivons en ces temps révolutionnaires d'une manière plus consciente mais moins solitaires que nous le fûmes, jusqu'à la veille du 14 janvier. En être conscient et les vivre ensemble (le «je» de Rimbaud est non seulement «un autre» mais aussi «plusieurs autres»). C'est déjà un progrès dans notre petite histoire ayant plutôt vécu dans l'intranquillité! La révolution tunisienne est en train de nous sortir progressivement de cette schizophrénie qui a fait beaucoup de mal aux générations passées. Elle est en train de nous guérir de cette solitude où plus personne ne vivait en nous. Faisons en sorte que notre pensée soit de plus en plus libre comme c'en est l'air du temps, actuellement.