Non vraiment, ce qui se passe de temps à autre, au fil de quelques programmations tâtonnantes et de quelques répliques violentes, ne relève en rien du vrai débat sur les libertés auquel l'opinion aspire aujourd'hui. Neuf mois après le 14 janvier, le débat sur la liberté d'expression n'a pas progressé. Il y a même des raisons de se rendre à l'évidence qu'il n'a toujours pas commencé tel qu'il se doit : dans le cadre général des libertés. Ce qui se passe de temps à autre et qui veut prendre l'allure du "grand débat" ressemble plutôt à une palabre incohérente et décousue qui n'a encore pris ni la consistance ni l'intensité, encore moins la hauteur que la question requiert. Et cette palabre continue à avancer par à-coups futiles et contrecoups spectaculaires. Elle procède par injections de doses expérimentales, d'un côté, et par réactions compulsives, de l'autre, au gré des calendriers et des religions des uns et des autres. Car quand on connaît les uns et les autres, on se rend à l'évidence que, pour des raisons très différentes évidemment, les libertés ne sont ni dans leurs croyances ni dans leurs urgences. La chaîne privée qui rejette toute réglementation protégeant la liberté d'expression, toute régulation, toute déontologie et, dernièrement, toute éthique électorale, définissant l'ensemble de "liberticide", et les extrémistes qui s'en prennent violemment à ses programmations sont, tous deux, à des années lumière du vrai débat sur les libertés. Ils sont tous deux dans le feu de l'excitation marchande et du négoce sauvage de leurs étroites territorialités. A la cadence à laquelle tous deux avancent, il y a risque que ces expérimentations et ces réactions se multiplient, se banalisent et se monopolisent, faisant de petits héros chez les uns comme chez les autres, au bonheur des uns et des autres. Il y a risque que le vrai débat continue à fuir dans cet antagonisme primaire et ce duel moyenâgeux entre ceux qui le vendent aux enchères et ceux qui voudraient l'étouffer dans l'œuf. Car, faut-il le rappeler, la transition, la première du moins, touche à sa fin et là-dessus, les élections ne trancheront point : le grand perdant risquera d'être la liberté d'expression. Dopée, grisée, exaltée dans l'euphorie des débuts, rien ne sera venu la protéger et la pérenniser. Les projets de textes élaborés par l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication et le comité d'experts de la Haute Instance sont encore bloqués au niveau du gouvernement. Malheureusement, un certain analphabétisme juridique fait que beaucoup croient bien penser en demandant à ce que cette liberté ne s'accommode ni des lois ni des instances de régulation et qu'elle gagnerait juste à être incluse dans la Constitution. En l'absence de ce qui aurait bien pu protéger nos libertés à peine acquises et si fragilisées aujourd'hui, même le débat semble récupéré et réduit à son infime expression. Or ce dont a besoin la Tunisie, c'est d'un débat national éclaté, social, culturel, pluriel, posé en termes clairs sans atours ni détours sur les libertés. Le terme semble encore inédit dans notre culture et notre société. Il faut parcourir les murs des réseaux sociaux pour se rendre compte de l'amalgame, de la confusion et du besoin de comprendre qui tourmentent les jeunes et les moins jeunes. Il y est des cordes très sensibles d'un pays pluriel aux multiples profondeurs. Et ce ne sont pas les duels d'un autre âge qui y répondront : quels droits ? Quelles libertés ? Dans quelles lignes et avec quelles garanties ? Ce sont bien des textes minima pour un véritable Etat de droit où il y a place pour chacun dont on a besoin et puis, surtout, une culture et une pédagogie massivement partagées qui puissent digérer l'idéal universel sans guerres ni batailles rangées.