Par Moncef Guen En accordant le Prix Nobel de la paix à trois femmes, deux Libériennes (dont la présidente Ellen Johnson Sirleaf qui va peut-être s'en servir pour se faire réélire) et à une Yéménite, le Comité ou jury du prix a complètement ignoré le printemps arabe, ce mouvement révolutionnaire parti de Tunisie le 14 janvier 2011 pour secouer les dictatures en Egypte, Yémen, Libye, Syrie et au-delà. Comment expliquer qu'une institution aussi prestigieuse que la Fondation Nobel puisse ignorer un événement historique d'une telle ampleur politique, économique, culturelle et humaine ? Faire tomber des dictatures aussi dures, sanguinaires et obscurantistes que les dictatures tunisienne, égyptienne et libyenne n'était pas un événement ordinaire. Des milliers de personnes — hommes, femmes et enfants — sont tombées sous les balles des dictateurs. Des milliers de personnes — hommes, femmes et enfants — ont été torturées dans les chambres de torture de ces dictateurs. Les droits de l'homme les plus élémentaires ont été bafoués pendant 20, 30, 40,50 ans dans ces pays. Des dizaines de personnes, hommes, femmes et enfants- sont en train de tomber tous les jours en Syrie, victimes civiles du régime sanguinaire en place, sous les yeux débonnaires des membres de ce Comité. Que les membres de ce jury détournent leur regard de ces atrocités quotidiennes et ne cherchent pas symboliquement à soutenir ces victimes, par un appui moral à leur cause, dénote soit une ignorance totale de l'ampleur du tsunami arabe soit un mépris à l'égard de la cause de la liberté des peuples et de l'attachement aux valeurs les plus " nobles " de l'humanité. Certes, il n'y a pas eu en Tunisie un Lech Walesa qui aurait guidé le mouvement révolutionnaire. Mais il y a eu Mohamed Bouzizi qui a lancé, par son sacrifice par le feu à Sidi Bouzid en décembre 2010, la première étincelle de ce printemps arabe. Sa famille et son pays auraient pu recevoir cette reconnaissance universelle qu'est le Prix Nobel. Y a-t-il chez les membres de ce comité deux poids et deux mesures entre la Pologne des années 80 et la Tunisie de 2010-2011 ? Est-ce que la portée de la chute du mur de Berlin en 1989 est plus importante que celle de la chute de la dictature tunisienne qui a embrasé, par la soif de liberté et de démocratie, un monde arabe de plus de 350 millions d'habitants ? Un mouvement libérateur qui va jusqu'aux confins de la Chine et va même jusqu'à Wall Street ? Une révolution du jasmin dont le parfum n'est pas encore arrivé au nez des membres de ce Comité ? Même si le Comité a décidé d'ignorer injustement ce grand mouvement historique et se concentrer sur la cause féminine, il aurait pu ajouter une femme tunisienne, égyptienne et libyenne, et il y en a. Pour la gouverne des membres de ce jury, il faut rappeler que la Tunisie est le premier pays arabe et musulman (déjà depuis le 13 août 1957) à protéger les droits de la femme, à la libérer et à lui assurer une éducation adéquate. Qu'est-ce qui les aurait empêchés d'ajouter une femme tunisienne à cette liste ? Doit-on interpréter le choix du Comité par manque d'information, manque de réalisme ou manque d'intérêt ? Nous sommes sidérés par ce manquement aux valeurs universelles de liberté et de démocratie de la part d'une institution qui se veut à l'avant-garde de ces valeurs. Par cette faute morale, le jury a dévalué, aux yeux des jeunes arabes et beaucoup d'autres dans le monde, le symbole que représente ce Prix.