Par Dr Rejeb HAJI •«Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas voir» (Henri Poincaré) Faute de formation économique de base, des programmes chimériques ont été proposés par les postulants à la Constituante du 23 octobre. L'ignorance ou l'omission du coût de réalisation d'un kilomètre d'autoroute, de la construction d'un hôpital, d'un aéroport, de la création d'un emploi, voire même de l'organisation des élections...on n'en finirait pas d'énumérer des projets sans évaluation, ni financement adéquat, le but est d'amadouer l'électeur. Même si les coûts demeurent un secret absolu, cet iceberg qui n'a pas encore commencé à fondre avec l'avènement de la révolution de Janvier, il est à constater que les économistes de tout bord sont largement absents des débats souhaités de la construction d'une nouvelle République exemplaire. Leur mission de prospection et d'analyse fait défaut. Si les rapports entre le politique et l'économique ne sont jamais des rapports de subordination dans un sens ou dans l'autre, nous assistons à une perte de crédibilité de l'économique. A chaque mesure politique économique sont associés des coûts et des avantages pour chaque catégorie socioprofessionnelle, une subordination de l'économique au politique signifie que les mesures politiques doivent être réalisées quel qu'en soit le coût ! On comprend le danger d'une telle subordination. D'autant plus que l'opinion publique demeure mal informée. En effet, peu de journaux se sont intéressés aux programmes économiques proposés ici et là. Même l'appel «un plan économique pour soutenir la transition démocratique en Tunisie» (Journal Le monde du 17/5/2011) lancé par les seize plus grands économistes du monde, parmi eux un prix Nobel n'a pas trouvé d'écho. Alors que ces derniers «appellent les dirigeants du G8...à soutenir une feuille de route qui serait élaborée et conduite par la Tunisie»... Ils ont identifié sept directives non reprises malheureusement ni par les économistes, ni par les impétrants, ni par les médias ! Il est vrai que l'information économique suppose un minimum de connaissances de base pour être comprise ou pour être perçue par ceux auxquels elle s'adresse. Ce minimum qu'on pourrait identifier à 50 mots, nécessaires pour comprendre la macroéconomie, ne nous paraît pas requis. Il est vrai aussi que ce minimum n'est pas dispensé partout dans toutes nos universités. C'est là encore une nouvelle preuve que notre université est malade et qu'on tarde à lui prescrire les traitements nécessaires. Elle était devenue le lieu où l'on n'exige plus les fondamentaux comme les thèses d'Etat mais des équivalences de toutes sortes de diplômes provenant d'origines parfois peu crédibles. Outre la formation de chômeurs, elle s'est distinguée par l'octroi, à des politiques, du doctorat honoris causa. Il est vrai qu'elle était entièrement soumise aux décisions du palais à telle enseigne que les résultats de certains jurys doivent en avoir l'aval avec en contrepartie des promotions futures (chargé de mission, membre de la Chambre des conseillers, directeur d'une institution, secrétaire d'Etat..). Cette situation a porté préjudice à notre enseignement supérieur. Pour être opérationnel, comme nous l'avons été dans nos différentes contributions publiées par le journal La Presse, dans l'espace de liberté « Opinions », l'Institut de presse et des sciences de l'information (Ipsi) qui forme nos journalistes, devrait réétudier ses programmes pour combler certaines lacunes. Faut-il souligner qu'il ne forme pas de journalistes économiques et que l'étude des statistiques est absente dans les différents cursus suivis par les étudiants. «Comment alors analyser des enquêtes et des sondages voire «faire parler des chiffres»? S'il veut atteindre sa cible, le journaliste se voit contraint de faire preuve de qualités pédagogiques. Qu'il s'agisse de formation de prix, d'inflation, de défense du consommateur, de la politique économique, de la politique monétaire, de la politique financière, du système monétaire international, de la dette souveraine, du produit intérieur brut...On n'en finirait pas d'énumérer les grands sujets d'actualité dans lesquels l'opinion publique se trouve impliquée. Sa réaction est conditionnée par l'information. Or dans le terme information, il y a celui de formation. Une série de questions devront être posées à ce propos. Elles semblent s'imposer d'elles-mêmes : l'information sur ces sujets existe-t-elle ? Dans l'affirmative, éclaire-t-elle les choix ? Fournit-elle l'ensemble des données propres à forger un jugement d'homme libre et responsable ? Assure-t-elle sa mission d'aller au-devant du lecteur et de capter son attention à travers l'actualité ? Pour les lecteurs assidus, notre presse ne traite pas souvent de ces sujets pourtant les crises se succèdent, leur intensité de plus en plus dramatique et leurs implications hautement politiques. L'information économique est mal répandue et difficilement reçue. De là est née une méfiance du citoyen devant la diversité contradictoire des chiffres utilisés comme argument politique ; à cela des obstacles s'opposent qu'on pourrait mettre à l'actif du journaliste. Nous pouvons, sans être exhaustif, énumérer quelques uns : une insuffisance de la formation voire l'absence de formation de journalistes économiques ; un manque de moyens financiers puisque une information de qualité exige un minimum d'investissement ; une insuffisance de rigueur déontologique d'où souvent l'administration d'une information tronquée, déformée, complaisante, orientée dans le but de flatter les réalisations des «novembristes» et de leurs fameux projets de la « Tunisie de demain» que la révolution a balayé d'un trait. Cette révélation nous vient d'être confirmée par des statisticiens de l'INS (Institut National de la Statistique) qui n'ont pas manqué d'exposer dans leur dernier séminaire « le système statistique public a été instrumentalisé à des fins de propagande politique par l'ancien régime... L'ancien régime a même exigé, parfois, de modifier les aspects méthodologiques et scientifiques pour produire des données au service de l'agenda politique». (La Presse du 9/10/2011). Ajouté à cela, la croyance dans lequel un journal se vendra mieux en présentant au lecteur une information orientée dans le sens qu'il suppose souhaiter. Or, il faut se rendre à l'évidence, l'insuffisance de l'information économique des individus et des groupes constitue un danger social. En l'occurrence des exigences de l'efficacité et de la démocratie se rejoignent pour franchir les obstacles précités. S'il est vrai que le journaliste doit aller chercher le lecteur où il se trouve, il ne peut en aucun cas devenir un journaliste de « scoop » et chercher à mettre «un pétard» dans chaque numéro car un journal n'est pas une auberge espagnole où l'on demanderait au lecteur d'apporter une part des informations. Une information sérieuse et crédible, très simple à lire, peut aider à comprendre les enjeux complexes dans la conduite de la politique économique qui s'inscrit dans un temps et dans un espace spécifique tel que les nôtres. Prompt à servir les faits et servi par sa vocation d'informer et de commenter l'actualité, le quatrième pouvoir – la presse et les médias – est mieux placé que quiconque pour assurer une mission d'éducation propre à assimiler les connaissances élémentaires. Mais au fait, il n'est qu'un intermédiaire, un agent de communication. Son pouvoir ne remplacera pas une éducation scolaire et universitaire dont il est un auxiliaire. Il ne peut se substituer aux gouvernements futurs et aux nouveaux responsables politiques qui se doivent favoriser un climat propice au rôle pédagogique de l'information. Cela suppose en premier lieu le pluralisme, il vient d'être effectif dans notre société ; en second lieu la contradiction, faute de débats, elle tarde à se mettre en place. C'est la vocation d'un journal économique de parler d'économie, pourrait-on me répliquer ? S'il est vrai que la presse économique grand public est peu importante dans ce domaine, elle est trop récente. Même si certains titres sont des précurseurs, ayant joué le rôle de pionnier, en introduisant une formule journalistique totalement moderne à la pointe du progrès, le chemin est encore semé d'embûches. N'oublions pas que les patrons et les cadres sont à la fois les lecteurs et les informateurs de ces journaux. La moindre touche des prérogatives de ces derniers ou de leurs spécialités aurait des conséquences économiques désastreuses sur le journal et sur l'interlocuteur qui serait considéré comme «peu sérieux». Alors que faire ? L'expérience des autres pays dans ce domaine peut nous baliser le chemin. Même si on semble ignorer ce qui se passe en France, où l'on prépare des élections cruciales, suivies d'un vote destin pour certains candidats et pour leur pays, les débats se sont organisés autour de projets et le vote du citoyen volontaire en a été tributaire. A comparer avec notre situation où notre Tunisie bouge mais souffre des choix de ces commissions, composées d'illustres inconnus qui nous ont menés au vote «aveugle». Elles ont décidé de faire payer le contribuable les frais des prétendants, au lieu d'orienter ces derniers vers les banques pour des prêts de campagne. Là encore la politique financière est un des domaines des plus inconnus par nos journalistes. Les banques, faut-il le rappeler, sont absentes du mouvement. Elles ne sont pas encore sous les feux de la rampe pour les emprunts «toxiques» ou les crédits non solvables octroyés à l'ancien régime. Même l'argent de ces campagnes électorales échappe à tout le monde. Il est du domaine réservé à la «politique souterraine» (La Presse du 9/10/2011). Par-delà les insuffisances que nous avons soulignées dans nos différentes contributions, nées de notre expérience et des responsabilités que nous avons eu l'honneur d'assumer des années durant, nous n'avons pas le choix que d'avancer et d'appeler à aller voter comme nous l'avons fait pour s'inscrire (La Presse du 5/8/2011) pour mettre ainsi fin à cette période transitoire, basée sur l'improvisation dans toute sa dimension. Malgré le vote aveugle qui nous mènera vers une autre issue inconnue et aléatoire, transition que nous souhaitons de courte durée – pas plus que six mois – nous l'assumerons par notre vote pour que notre pays, ouvert à toutes les bonnes volontés, loin des calculs personnels sordides, puisse être mené à bon port pour construire une république exemplaire et réaliser les vœux de nos martyrs, dont nous serons les vigilants gardiens! Espérons qu'après le 23 octobre, avec la participation de tous, les problèmes de notre pays soient pris à bras-le-corps