Par Dr Rejeb HAJI Qu'on ne s'y trompe pas ! La situation de notre pays est chaotique. L'économie se dégrade et le vent de panique continue à souffler. La connaissance de la vérité et la sincérité de l'information sont des fondamentaux pour la liberté de penser. A ce sujet des points d'interrogation restent encore sans réponse, citons à titre indicatif : le coup d'Etat médical et ses conséquences, l'inventaire économique et social durant les décennies écoulées, la publication du curriculum vitae des membres des différentes commissions, le contrôle du financement des partis... Pour éviter de tomber dans les redites, reprenons quelques indicateurs, en se référant aux déclarations de ceux qui nous gouvernent, ce qui n'est pas fait pour les crédibiliser malgré «leur sérénité affichée»: Le ministre des Finances affirme, sans vergogne, que la «démocratie mène nécessairement à la croissance et vice-versa», on ne peut pas être aussi catégorique, son collègue de la Banque centrale soutient le contraire. Le ministre du Développement régional, quant à lui, affirme que le «découpage des gouvernorats est plutôt sécuritaire» et que 24 gouvernorats «c'est énorme». Il poursuit «...il n'y a pas de statistiques crédibles en Tunisie» et il finit par « L'Europe doit traiter avec la Tunisie en tant que laboratoire pour toute la région». Arrêtons l'énumération de la communication peu audible de nos ministres et évoquons certains indicateurs, sciemment choisis, destinés à nous éclairer et à nous sensibiliser sur la situation peu reluisante de notre économie, puis proposons des voies et moyens susceptibles de nous mener à bon port. Dans le secteur industriel, on nous annonce «un grand mouvement de revendications» allant de «la demande d'emploi à l'augmentation des salaires ou à l'accès à de nouveaux avantages sociaux». On nous ajoute que jusqu'à fin mars 2011, 240 entreprises ont subi des dégâts et des pertes «estimés à 200 MD». Le premier trimestre a été donc caractérisé par une baisse des investissements déclarés de près de 2%, de même que les investissements directs étrangers (IDE) ont diminué de 5% et le taux de croissance prévisible varie entre 0 et 1%. Pour la Banque Centrale les ressources en devises chutent, la Bourse baisse de 16 à 17% et la perte globale est évaluée à 5M_D (soit 4% du PIB), le déficit budgétaire est de 3%, l'inflation de 5%. Quant au tourisme qui contribue pour 6,5% du PIB (Produit Intérieur Brut) et assure près de 400.000 emplois directs et indirects, soit 12% de la population active, la situation est désastreuse : «28 hôtels et 2 agences ont fermé», «les entrées globales ont enregistré une baisse de 42%», d'où l'enveloppe de 25MD qui lui a été réservée pour une campagne de relance. Les chiffres du social ne sont guère probants. En effet le chômage pourrait atteindre les 700.000 personnes selon certains, avec près de 160.000 diplômés, 30.000 affluent de Lybie et 10.0000 sous la menace d'exclusion. Ajouter à cela 24,7% de la population en dessous du seuil de pauvreté. Dans les autres secteurs la situation n'est ni meilleure ni plus réjouissante. Bref tous les clignotants de l'économie sont au rouge quelles que soient nos références statistiques. Ils confirment l'échec sans appel du modèle de croissance retenu par les «novembristes» et leurs consorts, les inventeurs de la «Tunisie de demain» : chômage, corruption, profits illicites, main basse sur l'Etat... Au nom du peuple meurtri par les révélations qui s'enchaînent de jour en jour, notre justice sereine et efficace est en voie de leur demander des comptes. Comment s'en sortir ? Il n'y a pas de miracle. La voie passante est celle de l'imagination, de la conception, de l'exécution et du contrôle, autant de leviers de développement qui ont été jusque là ignorés. La politique de courte vue à laquelle les prédateurs ont tenu pendant des années n'est plus de mise. Un nouveau démarrage, avec une nouvelle configuration des choix, une autre manière de contribuer à la réalisation d'un Etat de droit et de justice. Même si des menaces qui pèsent encore sur notre démocratie balbutiante, ne sont pas à négliger. De là, pourrait naître un nouvel objectif pour nous tous, une alternative économique à imaginer qui soit crédible, durable, socialement juste et viable. L'heure n'est plus à éparpiller les efforts et à se déchirer pour des projets personnels mais à s'unir autour de pôles de réflexion pour identifier les besoins, les analyser et leur proposer des solutions appropriées. C'est aux cadres et aux élites de différentes localités et régions qu'il incombe de définir la feuille de route. D'une analyse participative du citoyen sur le terrain, naîtront les projets. Les objectifs identifiés, non au niveau central, mais à la base, telle est la logique de la nouvelle démarche proposée. Pour une auto-gouvernance et un autodéveloppement, des regroupements de régions, répondant dans leur découpage à plus d'homogénéité et d'harmonie, devront être créés. Un socle à définir leur est commun. Il repose sur une exigence de vérité, une exigence d'équité, une exigence de légitimité et une forte dose de solidarité. C'est aux experts de ces régions, chacun dans son domaine, de pousser à cette réflexion et de s'organiser en conséquence. Le rural ou l'urbain doit être l'acteur de son propre développement. Il participe à la conception, au suivi et à l'évaluation des stratégies retenues. L'Etat, par une décentralisation accrue de ses services, s'approchera alors beaucoup plus des diagnostics locaux réalisés par ceux qui détiennent l'information la plus pertinente. Ces experts locaux et régionaux identifieront les lacunes à combler pour créer un arsenal de politique d'accompagnement indispensable pour réussir cette décentralisation. En parallèle la création d'associations ou le renforcement des existantes seraient les intermédiaires représentatifs de l‘ensemble de la population. Leur vocation est d'être le maillon central du dialogue entre l'Etat et les autres acteurs de développement de la localité ou de la région. Notre pays s'est caractérisé par une centralisation outrancière d'où l'échec des différentes expériences de développement puisque la population s'est trouvée à la marge. Autre conséquence, l'inefficacité a été engendrée par le fait qu'il n'y avait pas de mécanismes permettant de focaliser les instruments en fonction des problèmes spécifiques à chaque localité, à chaque région voire même à chaque type de problème. Avec un transfert des compétences dans les régions, la logique de l'offre serait remplacée par celle de la demande émanant cette fois-ci, des particularités de chaque localité ou de chaque spécificité. Les expériences de développement précédentes, il faut l'avouer, ont favorisé les localités les plus riches et les mieux organisées qui n'étaient pas celles qui avaient le plus besoin d'appui. Les modalités d'allocation des ressources ont alimenté le clientélisme au niveau des intermédiaires locaux et régionaux dont la définition de la politique leur échappe. De ce fait, l'administration de proximité ne peut s'adapter et prendre en compte la formulation des politiques participatives. La localité et la région, avec cette nouvelle démarche deviendraient des espaces d'échanges de vues, de concertation et de formation. La représentation populaire pourra débattre, à travers ces différents élus locaux et régionaux, des aspirations et des projets. Ainsi, une feuille de route préparée au niveau de la localité, intégrée dans un schéma plus large, celui de la région, servira de programmes et de repères à l'édification du futur. Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas interdit de s'inspirer des réussites des autres, voire de les adapter en fonction de situations économiques et politiques propres. Il faut voir ce qui se passe ailleurs et c'est fondamental. Il demeure évident que les examens préalables des expériences d'autrui sont toujours utiles pour améliorer les performances et faciliter les réformes. Tout le monde s'accorde, aujourd'hui, à considérer l'économie sociale de marché, dont nous avons développé dans des articles précédents quelques signaux applicables à notre économie dans l'immédiat, demeure une alternative sociale à l'économie de marché d'une part, et comme alternative libérale à l'économie planifiée d'autre part. Cette politique, qui accorde la même importance aux deux tâches que la société, a le devoir de remplir : l'ordre économique de marché et la protection sociale des plus faibles. Dans cette économie, à côté des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, il est créé un quatrième pouvoir, non celui de l'information comme il est souvent entendu, mais un pouvoir d'intellectuels sous forme de Conseils scientifiques institutionnalisés. Outre la tâche de conseil auprès des autorités de l'Etat, ces conseils seraient amenés à révéler et à neutraliser les pressions d'où qu'elles viennent. Ils assurent le consensus de la société en œuvrant à un accord collectif autour des exigences de l'intérêt général. Enfin, un Conseil des Sages est créé pour procéder à l'évaluation économique générale. Sa mission consiste à rédiger régulièrement des rapports sur la situation économique du pays. Dans une analyse détaillée, il signale les points d'ombre relevés dans différents domaines et formule des propositions qui peuvent faire l'objet de débats politiques. Ces rapports constituent à la fois une source d'information pour l'opinion publique, mais également, une feuille de route pour les responsables politiques. Outre les rapports annuels, des rapports spécifiques peuvent lui être demandé. Exerçant ses activités en toute indépendance du gouvernement, sa mission lui est fixée par la loi. Ces modèles deviennent une réalité partout en Europe, pourquoi ne pas les essayer ? Tout en nous inspirant de l'économie sociale de marché, nous avons avancé des propositions où le rôle des experts et la participation de la base à toutes les décisions qui la concernent, peuvent nous laisser espérer que les valeurs de liberté, de démocratie et de justice réputées inconciliables, puissent être réalisées. C'est là une nouvelle politique qui ose et qui risque.