Par Manoubia Ben Ghedahem On a beaucoup comparé la période qui a suivi la Révolution du 14 janvier 2011 à la situation qu'a vécue la Tunisie au moment de l'Indépendance. Certes, les enjeux ne sont pas les mêmes, ils sont peut-être plus importants aujourd'hui. Le fait que la Révolution tunisienne soit un éclair qui illumine le ciel du monde arabe a fait de cet événement, strictement tunisien, le déclenchement d'un processus qui a inauguré ce qui, désormais, s'appelle le «printemps arabe». Pourtant, si l'on essaye de voir les choses sur la longue durée, nous retrouvons, en ce moment, les deux courants majeurs qui ont traversé la culture tunisienne depuis Ahd Al Aman, celui des traditionalistes, avec toutes ses variables et celui des modernistes avec toutes ses tendances. Ces deux tendances n'ont pas cessé de s'opposer et d'enrichir leurs arguments à travers leurs divergences et leurs points de vue divergents. Or, si la Révolution tunisienne a été un événement marquant dans notre histoire, c'est bien parce qu'elle semble être le résultat d'un processus qui a fermenté hors de ces divergences idéologiques et partisanes. Elle est la Révolution de la liberté et de la dignité que les partis politiques n'ont pas vue venir. Et d'un seul mouvement, le mur de la peur est très vite tombé. Et j'ai déjà pensé qu'après le 14 janvier que je n'aurai plus jamais peur. Pourtant ces derniers jours, et parfois avant, j'ai eu des doutes terribles, je me suis remise à avoir peur de l'avenir. Voir tant d'agressivité, de violence, de slogans sortis d'un wahabisme que la Zitouna avait réfutés depuis le début du XXe siècle, ont fini par me convaincre que le mal du fanatisme s'est propagé dans mon pays à une vitesse alarmante. En plus, et sans tomber dans les théories du complot, le fait de voir les même personnes agresser le secrétaire général de la Faculté de Sousse, brûler la maison du directeur de Nessma, et crier des slogans contre la liberté d'opinion et de croyance, je me suis dit que tout cela n'est pas le fruit du hasard. Après la manifestation du dimanche 16 octobre, je peux affirmer haut et fort que je n'aurai plus jamais peur pour la Tunisie car elle est bien protégée par ceux qui l'aiment. Si le vendredi environ deux cents personnes, payées au prix fort, ont envahi ses rues pour terroriser le peuple, aujourd'hui, plusieurs milliers d'authentiques Tunisiens, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, sont descendus dans les rues pour affirmer leur attachement aux valeurs de liberté, de dignité de ce pays qui est en train de réécrire l'histoire du monde. J'ai retrouvé les mêmes visages, les mêmes slogans des filles et des fils de la Tunisie qui sont sortis le 14 janvier et ont défié Ben Ali. Ils sont restés ici. Les partis ont, après, envahi l'espace politique mais ceux-là, qui se sont retirés un moment, n'ont pas disparu et si un parti ou un groupuscule pense les spolier de leur liberté et leur dignité, ils ressortront dans les rues et reprendront leurs droits. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les partis étaient absents : le 16 octobre, comme le 14 janvier, c'était au peuple de se prononcer. Et il l'a fait d'une façon éclatante. Cette manifestation a été organisée suite à l'appel de la société civile. Le Tunisien moderne, le Tunisien libre a répondu à un appel sur Facebook. Ni médias, ni mosquées, ni partis ! Cet appel a été entendu dans d'autres villes où le peuple a réagi promptement. Les Tunisiens que j'ai vus étaient souriants, calmes, posés, déterminés, solidaires… Très différents de ces visages haineux, arrogants, agressifs et envahissants, qui nous sont «étrangers» et qui avaient infesté nos rues le vendredi… Lors de cette manifestation, les Tunisiens ont donné une leçon de démocratie, de tolérance, de dignité, à l'image de notre révolution, la meilleure preuve en est que le signe de ralliement était le drapeau tunisien qui dominait. La symbolique de ce drapeau est autrement importante. Il n'est pas uniquement l'expression de l'unité des Tunisiens, de leur histoire, de la lutte contre le colonialisme et la décadence mais il est surtout la synthèse de nos vœux de liberté, d'authenticité et de dignité. Le remplacer par un autre drapeau, noir comme le chagrin des enfers, est une traîtrise que les Tunisiens ne pardonnent pas. L'hymne national retentissait, repris par les manifestants, hommes et femmes qui ne cherchaient ni à inspirer la peur aux passants, ni à s'attaquer aux officiers de l'ordre, à un certain moment j'ai vu les manifestants applaudir et remercier la police qui a été violentée deux jours plus tôt par les salafistes. Cette journée est une leçon de civisme donnée aux hystériques illuminés du vendredi, ou quand le peuple de la révolution de la liberté et de la dignité apparaît dans toute sa splendeur ! Un remake du 14 janvier. La Tunisie a fait le choix de la modernité avec ses composantes de citoyenneté ! Notre révolution ne va pas échouer !