Par Soufiane BEN FARHAT Le Premier ministre grec, Georges Papandréou, n'y va pas par quatre chemins: «L'enjeu est de savoir si nous voulons rester dans la zone euro. C'est très clair». Il y a quelque temps, de tels propos relevaient du blasphème. Avant-hier, lors du sommet du G20 à Cannes, le président français Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou : à l'entendre, la question du référendum posée aux Grecs doit impérativement porter sur cette option : «La Grèce doit décider si elle veut rester dans l'euro». La chancelière allemande Angela Merkel acquiesce et campe la même posture. La zone euro peut «se passer» de la Grèce, a déclaré hier le ministre français des Affaires européennes. Jean Leonetti est encore plus incisif : «La Grèce est à la fois quelque chose qu'on pouvait surmonter et en même temps quelque chose dont on peut se passer... Il ne faut pas se faire d'illusion, si la Grèce ne veut pas le plan, elle n'aura pas l'argent. Vous ne pouvez pas avoir la solidarité de 17 pays sans avoir la contrainte, la discipline budgétaire. Et dans ce cas, le pays va à la faillite, et il sortira obligatoirement de la zone euro», a-t-il surenchéri. Avant de reprendre : «L'euro et l'Europe peuvent survivre à ça». L'ex-président de la commission des finances au Sénat français, Jean Arthuis, infléchit spéculativement le scénario : «Je ne crois pas que c'est toute la crédibilité de la zone euro qui pâtirait de la sortie de la Grèce car le partenaire grec n'a pas joué le jeu. Je ne crois pas que ce soit la fin de la zone euro». Le quotidien allemand Bild est, dit-on, le baromètre de l'opinion publique allemande. Certains l'accusent même de populisme. Visiblement courroucé par le référendum grec, il préconise tout simplement un référendum en Allemagne : «Enlevez l'euro aux Grecs», titrait-il hier. Son remède de cheval ? «Sortir les Grecs en faillite de la zone euro». Il fustige en passant «le bazar grec, la gabegie», l'Etat grec «pourri et corrompu». Les Anglais, eux, s'y prennent d'une autre manière. Les bookmakers de la City proposent de parier sur ce scénario, avec une cote des plus élevées, de l'ordre de 1,5 contre 1. Bref, c'est la foire d'empoigne intramuros dans la forteresse Europe. A se demander si les mythes fondateurs de l'Europe ne s'écroulent pas. Parmi ces mythes fondateurs, l'assimilation de la Grèce au référentiel gréco-romain à l'Occident prétendument judéo-chrétien. Un concept flou et fourre-tout. Un concept qui situe l'Europe en creux par rapport à l'Orient, tout en en «défalquant» la Grèce. Une Grèce par situation, essence et vocation, foncièrement orientale pourtant. Qui a acquis son aura historique avec Alexandre le Grand, un homme passionné d'Orient et dont le précepteur n'était autre qu'Aristote. Un des plus grands philosophes de l'humanité, révélé précisément à l'Occident, à l'instar de tous les sages et penseurs grecs, par l'Orient arabo-musulman. Finalement, Adam Smith a repris ses droits. Laissez-faire, laissez passer. Out l'«intrus» grec. Et on lui découvre subitement une vocation orientale – de rejet — au besoin. Le Bild s'insurge précisément contre «le bazar grec, la gabegie». Suivez mon regard. C'est à se demander si l'Europe occidentale unie sortira indemne de cette épreuve. Parce que c'en est bien une. Il y a un précédent grec. Et il pourrait faire des petits. Il y a risque, la crise endémique aidant, de se retrouver à terme avec une Europe fragmentée, à trait-d'union. On parle d'ailleurs de «Club Med», de «quadrilatère d'or», de «bloc ouest-européen», de «noyau franco-allemand» et de tant d'autres regroupements géographiques, sous-économiques ou fictifs. Sans oublier le grand frère-ennemi russe toujours à la lisière ou de la Turquie maintenue hors de l'Europe-club-de-chrétiens. Les révolutions n'épargnent rien. Décidément, l'histoire a de ces grimaces.