Les Tunisiens, en matière d'art, aiment ce qu'ils connaissent ou pensent connaître le mieux. Ils n'aiment pas être surpris, de peur d'être déçus. Ils ont beaucoup de mal à accepter une nouvelle démarche artistique, à couper le cordon ombilical avec un art trop consommé. Ils veulent être rassurés et font peu confiance aux nouvelles aventures qu'ils estiment hasardeuses. Cela a beaucoup contribué à la stagnation de nos arts. En principe, tous les arts peuvent coexister, sauf que l'art figuratif reste dominant et écrase de son poids les autres expressions artistiques expérimentales. La révolution a apporté dans son sillage de nouvelles expériences pertinentes, plus expressives et moins décoratives que celles existantes ou qui ont existé. Plusieurs jeunes, jusque-là inconnus au bataillon, ont révélé leur talent, ces derniers mois. Ils n'ont pas froid aux yeux et osent aborder avec liberté des thématiques considérées comme tabous jusqu'à une époque récente. Ils devancent en cela leurs aînés, qui sont davantage préoccupés par le côté lucratif de l'œuvre que par sa dimension d'engagement artistique réel. Il a suffi de leur ouvrir les vannes de la liberté pour qu'ils s'en soient saisis, réalisant des travaux survoltés, dont certains peuvent attirer l'attention des connaisseurs, mais qui ne sont pas tous convaincants. Comme quoi la génération actuelle d'artistes a du pain sur la planche. Aussi, une partie de ce que l'on voit, aujourd'hui, dans les expositions, peut-elle être considérée comme un peu tout et n'importe quoi, mais l'important est que l'expression soit libérée et que les jeunes artistes s'aventurent dans des territoires autrefois interdits, comme la politique par exemple. Les artistes vivaient dans un univers monochrome où tout était quadrillé. Maintenant, la liberté retrouvée, les artistes reprennent confiance en eux et profitent de la conjoncture pour donner libre cours à leur imagination. Sans doute plus que le théâtre et le cinéma, les arts plastiques et la musique rap ont le mieux saisi l'occasion pour investir les rues et intervenir auprès des spectateurs, proposant une autre démarche moins figée, vivante et plus spontanée. Plus d'un artiste s'empare du réel vécu et le transcende en œuvre d'art à part entière. Même les tags ont désormais leur droit de cité. Ils sont si réussis qu'ils surprennent les passants. Ils transgressent les interdits et vont au-delà de ce qu'on peut espérer. Bien sûr, cette forme artistique disparaîtra progressivement et cèdera la place à d'autres genres qu'on souhaite plus aboutis. Il n'y a pas de secret à cela, il suffit tout juste de continuer à suivre la même trajectoire sans fléchir. Développer l'idée d'un art nomade qui court les rues pour mieux approcher le public est une excellente initiative. C'est aussi faire preuve de citoyenneté. L'art est aujourd'hui appelé à descendre de son piédestal pour aller à la rencontre des gens. Plus qu'un service, c'est là un devoir que les artistes doivent concrétiser.