Comme beaucoup d'autres tentatives d'apprentissage et de commencement dans la vie associative tunisienne, de conscience citoyenne, et d'initiatives prises, et reprises, pour faire engager la société civile, l'Association tunisienne des arts pour le cinéma et le théâtre du Kef (ATACT) a vu le jour au lendemain du 14 Janvier. Avant même d'avoir leur visa, les fondateurs de l'association, Amir Gueddiche le président, Slim Magri, le vice-président, Rejeb Magri, le secrétaire général, et Haythem Ben Gadri, le trésorier, se sont armés d'une féroce volonté pour collaborer et suivre différents événements artistiques et culturels, dès que leur feuille de route esquissée. Partenaires du festival Boumakhlouf du Kef l'été dernier, ils ont également été les initiateurs de la proposition, devenue entreprise, d'une marche culturelle, sous la conduite de guides touristiques, qui organiseraient, spontanément, un circuit ludique et pédagogique, dans la cité historique, mystique et mythique, berceau de civilisations croisées et métissées. Puis, leur visa en poche, ces membres fondateurs de l'ATACT ont pensé à la célébration de la Journée mondiale du film d'animation (le 28 octobre), à travers un festival de cinéma qui a duré trois journées (28 - 30 octobre), autour de cette même thématique. Un des moments forts de cette manifestation inaugurale fut le film «Chak Wak», censuré aux JCC 2010, lors du passage qui lui a été initialement réservé et projeté, ensuite, au cinéma «le Mondial», suite aux intenses protestations du public tunisien, beaucoup plus averti qu'on ne le pensait, qui a fortement soutenu sa présence. Court-métrage de 20 minutes, «Chak Wak», du réalisateur et comédien Nasreddine Shili, avec dans les premiers rôles Atef Ben Hassine et Lamine Nahdi, est une histoire loufoque qui tourne — et retourne — clairement en dérision la religion, sur un ton burlesque et satirique, sans jamais tomber dans la vulgarité. Très bien reçu par le public du Kef, tout juste après le «remue-ménage» relatif à la projection de «Persepolis» sur la chaîne «Nessma», il a bel et bien démontré, lors de cette occasion keffoise, qu'une pensée différente avait parfaitement sa place dans notre société. Incompréhension et ignorance Mais ce faisant, l'association a pris un risque, en décidant de le programmer au théâtre de poche et à la maison de la culture de la ville. En effet, un climat post-Persepolis régnait encore, particulièrement alimenté au lendemain d'une violente attaque contre Rejeb Magri, membre de l'association et professeur de théâtre au Kef, par des «salafistes» que seules l'incompréhension et l'ignorance motivaient. Rejeb, depuis toujours défenseur des droits sociaux, citoyens et humains, fut l'un des manifestants qui ont fait front au désir insensé des «salafistes» de transformer la Basilique romaine en mosquée, sous prétexte qu'aucune autre religion, à part l'Islam, ne devrait être représentée sous quelque forme que ce soit. La Basilique, patrimoine universel, vestige et prestige de la ville, est un vrai joyau pour ses habitants qui y voient un objet de fierté. D'où leur mobilisation contre sa possible destruction. Pour en revenir à l'action de l'ATACT et après sa première action «officielle» qui a consacré le genre du film d'animation, cette association a organisé un concert, le samedi 12 novembre, «Labess fil Kef» (tout va bien au Kef), à la maison des jeunes. Avec une première partie où cinq groupes tunisiens se sont surpassés dans une ambiance et une convivialité inhabituelles, avant que nous ne retrouvions, en seconde, le chanteur, compositeur et parolier, Nedjim, qui a dû venir sans le reste de son groupe faute de moyens de l'ATACT, qui a déjà beaucoup investi en billetterie et en location fort onéreuse d'un bus pour emmener le public tunisois sur les lieux. Et quand on sait que les forces de l'ordre ont fait défaut, parce qu'elles auraient été appelées en renfort à Tunis, pour le match de l'Espérance face aux Marocains du WAC, on comprend que l'événement, son organisation et sa tenue n'ont été portés que par une volonté et une sincérité hors du commun. Malgré des soucis techniques au niveau de la sonorisation et du rendu acoustique, Mehdi Chakroun et Lobna Noômen en ouverture, auxquels ont succédé le groupe «Dima Dima» et Yesser Jradi, «Kif el Kef» formé pour l'événement, le groupe «Barbaroots», Badiâa Bouhrizi, puis le tant attendu Nedjim du groupe «Labess», un artiste d'origine algérienne vivant au Canada, à la grâce et à l'osmose humaniste certaines, ont permis au concert, en cette mémorable soirée, de voler jusqu'aux espoirs les plus exigeants. Samedi 12 novembre dernier, Le Kef s'est paré de mille feux, un moment de grâce, avec une diversité enrichissante qui ferait honneur à n'importe quelle région de notre pays. Dans cet esprit, plus motivé que jamais par ce qui s'érige et s'impose comme un art et une culture purement citoyens, l'ATACT continue son chemin prometteur, en nous donnant prochainement rendez-vous. D'abord le 25 novembre pour le concert itinérant du groupe «Labess», accompagné par des artistes tunisiens, ensuite les 10 et 11 décembre, avec la collaboration de «Familia Productions», pour la projection de films en 3D au Kef, événement absolument inédit, puis, les 15 et 16 décembre, en partenariat avec l'IFC, pour une manifestation à portée cinématographique. Au vu de cette effervescence pionnière et constructive, nous ne pouvons que saluer pareilles entreprises, en croisant les doigts pour que cela continue et contamine agréablement d'autres esprits... d'autres volontés.