Par Soufiane BEN FARHAT Pressenti pour être élu président de la République, M. Moncef Marzouki a mis les points sur les i avant-hier : «Je n'accepterai jamais une présidence fictive. J'opterai pour une présidence avec des prérogatives réelles dans le cadre d'un régime qui conférera aux trois présidences le rôle qui leur sied dans la gestion de la phase délicate dans laquelle s'engage le pays». Le secrétaire général du Congrès pour la République (CPR) l'a souligné dans la page officielle du parti sur Facebook. Porte-parole du parti, Imed Daymi a confirmé ces propos. En vérité, Marzouki réagit au projet portant organisation provisoire des pouvoirs publics, âprement débattu au sein de l'Assemblée constituante. Ledit projet tendrait plutôt à vider l'institution de la présidence de la République de certaines prérogatives. Le propre des assemblées parlementaires, c'est de débattre. Et le débat à ce propos est déjà lancé dans l'opinion. Ce fut même l'un des premiers débats initiés au lendemain immédiat de la révolution du 14 janvier 2011. Grosso modo, les Tunisiens adoptent une double posture sur cette question. En premier lieu, ils récusent d'emblée toute forme de régime présidentiel ou présidentialiste fort. Ils ont été profondément choqués par les dérives du régime présidentiel omnipotent adopté dès l'institution de la République en 1957. Ils savent ce que cela leur en a coûté. Malgré les choix libéraux et modernistes du régime issu de l'Indépendance, le despotisme politique a été presque toujours au rendez-vous. En second lieu, les Tunisiens ne s'engagent pas, en contrepartie, uniquement en faveur d'un régime parlementaire. Ils estiment qu'on devra avoir un régime mixte, semi-présidentiel semi-parlementaire. Et où le chef de l'Etat disposera de prérogatives relativement limitées. Il n'y a guère de sondage exhaustif à cet égard. Mais il semble bien, empiriquement, que la tendance des préférences pencherait du côté du régime mixte. Raison pour laquelle, d'ailleurs, le comité d'experts de l'Assemblée constituante a déjà préparé un projet privilégiant le régime mixte. Ainsi, on aurait, spéculativement en l'état actuel des choses, un système semi-parlementaire. Le président de la République y disposerait de prérogatives limitées, tout en étant élu au suffrage universel par le peuple. Et il lui incombe de charger un membre du parti de la majorité parlementaire de former le gouvernement. En même temps, il garde la haute main sur la diplomatie et l'armée, pour ne citer que ces exemples. Il s'agirait de quelque chose qui ressemblerait au système portugais en somme. Mais il incombe aux députés de l'Assemblée constituante d'en décider. Non point souverainement, mais moyennant, là aussi, le plébiscite populaire. Le mouvement Ennahdha privilégie, quant à lui, le régime parlementaire. Il l'a expressément inscrit dans son programme. S'il penche en faveur d'un président de la République aux prérogatives quasi-fictives, c'est en vertu de ce credo. Et c'est de bonne guerre pour ainsi dire. Chacun défend ce qui lui sied le plus. Ce qui semble diviser les deux autres composantes de la Troïka majoritaire à l'Assemblée (Ennahdha, CPR et Ettakatol). Il reste que l'attitude de M. Moncef Marzouki est à prendre au sérieux. Il avait choisi d'être l'allié pré et postélectoral d'Ennahdha, certes. Mais Marzouki n'en demeure pas moins farouchement rétif à toute mainmise. Ceux qui le connaissent de près vous le diront : il est capable de monter au charbon et de rebondir à tout moment, quelle que soit la case qu'on lui a préalablement assignée. D'ailleurs, les premières lézardes sérieuses dans l'édifice de la Troïka pourraient bien se cristalliser sur la question des prérogatives de la présidence de la République. En même temps, les démarcations débordent sur les rangs des deux partis alliés d'Ennahdha eux-mêmes. Le doute fait son travail de sape. Le fait que leurs premiers responsables interviennent sur leur page facebook est fort révélateur. On s'avise de rassurer les troupes, blackboulées par les derniers développements. Le pouvoir use, altère, divise. Si l'on ne s'y prend à temps, il corrompt. Et on a tendance à ne le découvrir que tardivement et à ses dépens.