Par Foued ALLANI Le beurre et l'argent du beurre. Certains employeurs sans scrupules ont, hélas, fait de cet adage leur devise suprême dans la gestion de leurs ressources humaines. Profitant d'une position de force en tant que pourvoyeurs d'emploi, ils se permettent les pires entorses à la loi et vont même jusqu'à piétiner leurs engagements moraux, surtout avec les jeunes diplômés à la recherche d'un emploi et usés par le chômage. Une situation qui dure depuis de longues années et que nous avons pu constater au sein de bon nombre de ces très petites entreprises, où le propriétaire peut se permettre de souffler le chaud et le froid en toute impunité. Une situation qui s'est accentuée depuis ces derniers mois et qui risque de le devenir encore plus en cette période de crise. Or, et tout le monde le sait aujourd'hui, les ressources humaines se sont révélées être les vrais atouts et les réelles richesses de l'entreprise. Bien plus, un facteur économique (et non seulement social) déterminant pour la survie, la croissance et la prospérité d'une telle structure. Car, c'est de l'engagement de ses employés, de leur compétence et de leur satisfaction morale, intellectuelle, sociale puis matérielle, que dépend l'avenir de l'entreprise. Une entreprise, qui investit dans ces ressources humaines, ne fait donc pas du social dans sa conception archaïque, mais bel et bien dans l'économique. Car, et les études l'ont montré, un dinar investi dans ce capital peut se multiplier plusieurs fois en termes de rentabilité. En quoi consistent ces dérapages qui, parfois, deviennent des crimes impardonnables, dont sont victimes nos jeunes et qui font pourrir encore plus le climat social général du pays? Il s'agit pour ces responsables, irresponsables, de recruter sans contrat, de faire travailler plus que ne le permet la loi et sans contrepartie , dans des conditions matérielles et psychologiques inhumaines. Il s'agit aussi de ne pas déclarer ces recrues au fisc, ni à la sécurité sociale, de leur imposer des tâches qui ne correspondent pas à leurs profils respectifs et qui, parfois, peuvent être humiliantes ou dégradantes. Il s'agit également de payer ces jeunes diplômés au-dessous des normes correspondant à leurs qualifications respectives et souvent, de les payer tardivement. Bref, de faire en sorte qu'après des mois de sacrifices matériels, intellectuels et moraux, ces jeunes quittent d'eux-mêmes l'entreprise, abandonnant parfois leur salaire ou une bonne partie de celui-ci, tellement pressés de quitter l'enfer qu'on leur faisait subir. Ils laisseront ainsi leur place à d'autres jeunes qui ignorent ce qui les attend dans cette même entreprise. Certains de ces jeunes subissent plusieurs fois de suite ces mésaventures jusqu'à ce qu'ils commencent à désespérer et acquérir des attitudes négatives envers eux-mêmes, le monde du travail et la société entière. Ils perdent ainsi un élément essentiel dans les relations humaines et sociales : la confiance. Aussi deviennent-ils très méfiants, mais engagés, plus calculateurs, car ayant toujours à l'esprit qu'ils sont temporaires partout où ils vont, même s'ils se tuent au travail. Par ailleurs, ils constatent souvent que leurs employeurs ne sont pas réellement en difficulté, qu'ils sont très à l'aise côté train de vie et que l'entreprise est en train, malgré tout, d'avancer. Il faut dire ici que ces employeurs, qui ont détruit et détruisent encore des générations de jeunes diplômés, commettent ces mêmes forfaits, vis-à-vis du fisc et vont jusqu'à inclure une multitude de leurs dépenses personnelles dans la comptabilité de l'entreprise (téléphone au domicile, voiture du conjoint, femme de ménage, coursiers, produits consommables, déjeûners, divers, voyages…) L'Etat doit ici intervenir en amont et en aval en mettant en œuvre une stratégie capable d'arrêter ce fléau, sinon de le limiter d'une manière sensible, car il ne s'agit pas de cas isolés, mais d'un véritable mal qui est en train de compromettre l'avenir de nos ressources humaines. Un mal qui devient chronique et de plus en plus nocif à cause des politiques de recrutement. Des entreprises sérieuses exigent, elles, en plus du diplôme, deux ou trois années d'expériences effectives au même poste. Argument que brandissent ces petits employeurs malhonnêtes à la figure des nouveaux diplômés, leur expliquant qu'ils leur rendent service en les employant puisqu'ils auront besoin de cette expérience pour prétendre à ces postes-là. L'un, au fait, n'empêche l'autre, à condition que ce passage inévitable se fasse dans le respect de la législation du travail et de la dignité de ces jeunes diplômés. L'Etat est tenu, ici, de revoir de fond en comble sa politique de formation de façon à produire des jeunes diplômés, directement opérationnels, grâce notamment à la méthode par alternance et à une coopération plus étroite, université-entreprise. L'Etat est également appelé de jouer son rôle de garant du respect de la loi en donnant tout son poids et son sens à l'inspection du travail et en développant par là même, sa mission d'encadrement et de suivi.