Par Foued ALLANI Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de la grève, serions-nous tentés de dire, en paraphrasant Shakespeare. Droit des salariés que personne ne penserait remettre en question, la grève est l'un des moyens utilisés pour assurer une meilleure régulation sociale au sein de l'entreprise (ou pour un secteur d'activité donné). Il est cependant (ce droit) utilisé parfois d'une manière abusive, même s'il est légal. Comme la guerre qui est «la continuation de la politique par d'autres moyens» selon Clausewitz, la grève est une bataille, disons un bras de fer entre salariés et employeurs. Il s'agit pour les premiers d'obliger le second à prendre les décisions qu'il rechignait à prendre au départ et que les travailleurs jugent nécessaires à la satisfaction de leurs revendications. Une grève, tout le monde le sait, est l'échec du dialogue social au sein de l'entreprise, c'est le conflit des intérêts des uns et des autres porté à son paroxysme. C'est en fait l'impasse dans les relations du travail. Celle-ci traduit l'échec de la négociation «gagnant-gagnant» qui, théoriquement, a impliqué l'administration publique (inspection du travail) et les structures syndicales hiérarchiques (sectorielles et territoriales). Economiquement parlant, la grève occasionne une perte sèche à l'entreprise, même si, parfois, elle permet de débloquer certaines situations conflictuelles. Elle constitue, de plus, une grave atteinte à son image et pénalise par la même occasion clients et fournisseurs, parfois lourdement. Il s'agit donc d'une fracture parfois handicapante pour l'entreprise. Ainsi fragilisée, l'entreprise, plus grand créateur de richesses, donc de progrès et de paix sociale, peut ne plus se relever et compromettre par conséquent les revenus des travailleurs eux-mêmes. Donc, même justifiée, la grève est très nocive pour l'entreprise dans sa totalité et non pour l'employeur comme cela pourrait paraître à première vue. Les partenaires sociaux sont ainsi appelés à en rationaliser l'usage et à en faire en sorte qu'elle demeurera le dernier recours, surtout lorsque le client en est la première victime. Car pourquoi le pénaliser lui, alors que le différend à l'origine de ce mouvement ne concerne que les partenaires sociaux uniquement (travailleurs, employeurs, syndicats, administration). Au-delà du fait que la grève n'a plus les mêmes motifs qu'aux XIXe et au premier tiers du XXe siècle, elle ne favorise aucune vraie négociation permettant l'amélioration de la qualité des relations humaines au travail. Car, si les salariés, qui sont la partie faible du point de vue de la loi, obtiennent par son biais souvent satisfaction pour leurs revendications, ils ne montrent pas en général un réel empressement ni engagement à améliorer la production et la qualité de leur travail. C'est-à-dire qu'ils obtiennent ce qu'ils veulent sans en retour donner un plus à leur entreprise. Bon nombre de grèves ont lieu, il faut le dire, pour obtenir des avantages supplémentaires et non pour des droits fondamentaux. Résultat, des surenchères à ne plus en finir et des alignements et réalignements successifs pouvant parfois aboutir à des situations aberrantes. Ainsi, des postes qui ne nécessitent pas un savoir-faire particulier vont jouir des mêmes avantages que des postes ou métiers nécessitant un savoir-faire très particulier au cœur même du métier de l'entreprise en question. Idem pour des entreprises appartenant à un secteur assimilé à un autre qui, lui, mérite bien certains avantages. C'est le cas aussi de certaines entreprises publiques qui se retrouvent en train de satisfaire les revendications pour avantages de leurs salariés, pour les facturer ensuite aux clients qui sont en fait l'ensemble des citoyens, la mauvaise qualité des services et de l'accueil en sus. C'est, entre autres, pour cela que les entreprises ont lutté pour assouplir la législation du travail et faire en sorte qu'elle leur permette de contrôler la puissance de feu de leurs salariés. Elles ont également fait en sorte que les tâches qui n'entrent pas dans leur métier principal soient externalisées (sous-traitance, intérim, location de main-d'œuvre…). Ce qui a contribué à renforcer la précarité du travail, donc l'instabilité et la misère sociales. Comme la guerre qui doit être reléguée aux oubliettes dans un monde civilisé, la grève, elle aussi, doit céder le pas à d'autres moyens et méthodes. Il s'agit ici de repenser les relations employeur - salariés en favorisant la gestion participative et le capital salarial et en renforçant la création des chartes d'entreprises, véritables contrats sociaux qui déterminent aussi bien les droits que les devoirs des différents partenaires et qui se négocient au cas par cas. L'Etat, lui aussi, est appelé à jouer un rôle beaucoup plus efficace comme arbitre et ne doit pas se laisser intimider par le capital. Il doit intervenir à temps pour faire respecter la législation et pénaliser l'entreprise quand c'est nécessaire. Objectif recherché, l'élimination des sources de conflits et développer d'autres moyens pour protester. Telles que la mobilisation de l'opinion publique, la création de conseils d'arbitrage chargés de veiller sur l'honneur de la profession, la labellisation des entreprises en fonction de leur niveau de respect de la législation et des normes (étoiles) qui influeraient d'une manière décisive sur l'image de l'entreprise.