... pour bon nombre d'électeurs BENI SOUEF, Egypte (Reuters) — Dans les campagnes égyptiennes, Frères musulmans et membres du parti Al Nour issu du salafisme courtisent les électeurs. Si les dirigeants des Frères voient parfois avec suspicion l'émergence de leurs rivaux radicaux, sur le terrain le ton des militants de base est différent. Pour certains de leurs électeurs dans les régions rurales d'Egypte, les deux formations ont plus de points communs qu'elles ne veulent l'admettre et devraient unir leurs efforts. Dans cette perspective, un jeu complexe s'est mis en place entre les membres des Frères musulmans, sur le point d'arriver au pouvoir après 80 ans d'existence, et ceux d'Al Nour, structure créée dans les mois qui ont suivi la chute d'Hosni Moubarak en février dernier. Là où les dirigeants des partis s'observent avec méfiance, leurs troupes hésitent à critiquer une autre formation islamiste. A Beni Souef, capitale de la province du même nom, nombreux sont ceux qui jugent minimes, voire inexistantes, les différences entre les deux partis. Après les deux tours de la première phase des législatives, les 28 novembre et 5 décembre, la deuxième phase se déroule depuis mercredi à Beni Souef ainsi que dans huit autres provinces du nord du pays et du long de la vallée du Nil. Si les tendances observées lors de la première étape du scrutin se confirment dans les suivantes — ce à quoi s'attendent les observateurs — les Frères musulmans et Al Nour pourraient s'assurer une majorité en formant une coalition au parlement. Un tel scénario aurait un profond impact sur le visage politique de l'Egypte post-Moubarak, mais il est loin d'être assuré. Alliance islamiste ou centriste Les dirigeants des Frères, pour l'instant largement en tête du scrutin, redoutent la création d'une coalition entièrement islamiste, qui risquerait selon eux de diviser le pays. Ils espèrent pouvoir former une union nationale plus large. Sur le terrain, en revanche, les électeurs espèrent voir l'Egypte s'orienter vers un gouvernement islamique ouvert à toutes les formations sympathisantes. «Bien sûr que les islamistes devraient s'allier: les Frères et les salafistes, c'est la même chose», estime Ahmed Sayed, partisan du parti Liberté et Justice (FJP), bras politique des Frères musulmans. «Nous n'avons jamais essayé les islamistes au gouvernement, alors maintenant c'est leur tour. La loi de Dieu doit primer», ajoute son ami Mahmoud Zakaria. Les deux hommes vivent à Kafr Djoumaa, à 120 km au sud du Caire. Essam Mohamed, agriculteur à Al Maïmoun, dans la province de Beni Souef, a pour sa part voté pour la liste du FJP ainsi que pour deux candidats individuels issus du parti Nour. «Je ne vois pas du tout de conflit entre eux. Ce sont tous des gens très bien, très respectables, avec les mêmes objectifs.» A Beni Souef, Abdel Moneïm Habich, fonctionnaire à la retraite et partisan d'Al Nour, juge qu'une coalition islamiste serait bonne pour l'Egypte. Il reproche en particulier aux laïques et à la presse de se montrer sceptiques quant à la volonté des deux partis islamistes de collaborer. «Le parti Nour appliquera la charia et fera le bien. Le parti Liberté et Justice a le même programme. Il lutte depuis 1928 contre la corruption, l'impiété et l'asservissement aux puissances étrangères. Son tour est venu.» «Tous musulmans» Pour les dirigeants des Frères musulmans, il semble difficile d'ignorer les appels de la base à s'allier à Al Nour, malgré leur volonté de se rapprocher plutôt du centre politique. De l'autre côté, les membres d'Al Nour accepteraient mal que le FJP s'allie à de plus petites factions telles que les libéraux ou la gauche, qu'ils jugent non représentatifs d'un électorat majoritairement religieux. Malgré les gestes de solidarité entre les deux partis, les électeurs restent conscients de certaines divergences de points de vue entre eux. «Le parti Nour est proche du peuple. Les Frères sont proches des milieux économiques et politiques. Mais, au final, c'est le peuple qui vote. C'est pour ça que tout le monde a été surpris par le nombre de voix que nous avons obtenues au premier tour», commente Aboul Oualid El Ouardani, un cuisinier du Caire qui milite pour le parti Nour à Beni Souef. «Mais au bout du compte, nous sommes tous musulmans. C'est l'interférence des médias et des libéraux qui essaie de nous empêcher de travailler ensemble.» Pour Nasser Khodeir, ingénieur et partisan des Frères dans la ville de Tansa, les membres de ce groupe sont eux aussi salafistes dans leur croyance mais n'attachent pas la même importance à la tenue vestimentaire ou au port de la barbe islamique. «De plus, les Frères croient au gradualisme, c'est-à-dire à la nécessité de ne pas forcer les gens à changer leur comportement mais à les persuader et à obtenir leur consentement», ajoute-t-il. D'ailleurs, selon lui, après moins d'un an d'engagement politique les salafistes évoluent déjà vers des positions plus proches de celles des Frères musulmans.