La laïcité est un nouveau concept dans la société tunisienne, qui a émergé lors des divergences démocratiques après la révolution. Il est apparu comme une réponse réactive contre l'éventuelle islamisation de l'Etat. La séparation voulue de deux pouvoirs, celui spirituellement éthique et celui civilement juridique, représente dans bien des cultures un choix visant à faire la part des choses entre religion et politique afin d'éviter une fusion quelque peu paradoxale entre les deux esprits souvent opposés. La France se présente comme «la mère» de la laïcité à l'échelle mondiale. Elle est suivie, en ce sens, par la Turquie et le Sénégal. Toutefois, ce choix commence depuis des décennies par s'émousser peu à peu, en faveur d'une plus importante prise en considération de la religion dans la politique. Quel avenir donc pour ce concept, notamment dans notre pays? Cette question a été traitée par le Dr Taoufik Bachrouch, lors d'une conférence coorganisée, récemment, par la maison des associations médicales à la Slimaniya et la Ligue tunisienne de la tolérance, à l'occasion de la célébration du premier anniversaire de la révolution. Il s'agit, pour l'orateur, d'analyser les problématiques relatives à la laïcité à la lumière des mutations économiques. En effet, aussitôt instaurée dans les pays connus pour ce concept, la laïcité a connu une régression palpable, ce qui traduit en quelque sorte l'importance de l'aspect religieux dans une politique qui se veut moderne. En 1882, la France a décidé de séparer le politique et le religieux, écartant le pouvoir de l'Eglise des affaires de l'Etat. Cette séparation a été axée sur l'impératif d'exclure le volet religieux du programme de l'éducation. «Cette mesure a été prise par Jules Ferry qui considérait l'Eglise comme un obstacle entravant le parcours des scientifiques. L'idée étant de substituer l'éthique religieuse par celle philosophique. Mais ce pari était-il pour autant un pari gagnant?», s'interroge l'orateur. Certes, les Français étaient parfaitement libres d'opter pour une éducation laïque ou une éducation religieuse, toutefois, l'Etat s'est vite ressaisi au profit de l'Eglise. En 1905, la régression du principe de la laïcité apparaît dans l'octroi par l'Etat de dons en faveur de l'Eglise. «Après la Première Guerre mondiale, l'on enregistre un retour au sens spirituel en France», renchérit le Dr Bachrouch. Et à partir de 1932, l'Etat commence à attribuer à l'Eglise des domaines pour bâtir les maisons de Dieu. Enfin, Sarkozy s'excuse auprès des Français chrétiens et reconnaît leurs souffrances au nom de la laïcité. En Turquie, la laïcité a été instaurée sous l'influence de la franc-maçonnerie. Elle s'avère encore plus intégrale que celle établie en France puisqu'elle sépare la religion des domaines de la vie. «En 1923, la Constitution définit l'Islam comme la religion de l'Etat. Un an après, des mesures sont prises pour interdire la pratique de la religion. 1931 : interdiction du port de voile et de la polygamie. En 1950, l'Etat interdit d'appeler à la prière en langue arabe. Ces mesures ont été revisitées peu à peu. Aussi, l'appel à la prière en langue arabe est-il autorisé. La polygamie n'est plus catégoriquement interdite. Enfin, ce pays qui se présente comme étant laïque comprend 500 écoles islamiques», souligne le Dr Bachrouch. Pour ce qui est de notre pays, l'expérience laïque en matière d'éducation s'avère timide, limitée à l'école franco-arabe. En Tunisie, comme en Turquie d'ailleurs, il n'existe pas de bases communes, sociales et éthiques favorisant l'épanouissement de la laïcité. Plus encore, en Turquie, les économistes appellent à la ré-instauration du système religieux; un système éthique qu'ils jugent plus utile et plus prometteur.