Par Slaheddine MEKKI * Depuis déjà de nombreuses années, la réforme pénitentiaire est à l'ordre du jour dans tous les pays développés. Il est un fait bien connu que, ces derniers temps surtout, un vaste mouvement s'est développé parmi les scientifiques, les pénalistes et les criminologues afin d'obtenir des réformes profondes dans l'organisation sociale, humaine, hygiénique et pédagogique des établissements pénitentiaires. Les raisons de ce mouvement sont multiples, mais deux apparaissent particulièrement importantes : – Tout d'abord, les progrès réalisés pendant ces dernières années par les études criminologiques en ce qui concerne les causes qui poussent l'individu au délit, les remèdes mis en œuvre pour prévenir et pour rééduquer le délinquant dans le vaste cadre de la défense de la société. – En second lieu, le fait que dans les pays civilisés se développent, sous une forme toujours plus large, l'assistance et la sécurité sociale, en vue d'éviter que les individus, en état de souffrance ou de besoin matériel et moral, tombent malades, deviennent fous ou criminels. Ainsi s'affirme toujours davantage ce principe que, dans la lutte contre la délinquance, il vaut mieux prévenir que réprimer, et tout délinquant doit être soumis au traitement dont il a besoin pour sa réadaptation sociale et éviter ainsi la récidive. A ce propos, on se rappellera que le premier congrès international de l'ONU en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants, qui s'est tenu à Genève du 22 août au 3 septembre 1955, a approuvé les règles minima pour le traitement des détenus. Ces règles n'ont pas certes la prétention de tracer dans le détail un système pénitentiaire moderne, mais de fixer, sur la base de notions généralement admises et de l'essentiel des meilleurs systèmes pénitentiaires, des principes généraux et les règles minima pour une bonne organisation pénitentiaire et une bonne pratique du traitement des détenus. En tout cas, il s'agit d'un texte fondamental dont s'inspireront désormais tous les pays. Ces pays signalent pourtant la nécessité de transformer les systèmes traditionnels fondés sur la peine par d'autres qui, suggérés par les connaissances scientifiques les plus récentes et par les résultats des expériences en cours dans différents pays, favorisent une rééducation progressive réelle de ceux qui violent la loi, et protègent contre leurs méfaits d'une façon toujours plus efficace. C'est sur la base de ces différents principes que l'on envisage des systèmes plus ou moins avant-gardistes dans le domaine de la politique criminelle moderne. On affirme en fait que, de même que la société a lentement modifié ses préjugés quant au traitement des maladies mentales, de même elle doit finir par accepter la thèse selon laquelle le criminel est socialement un malade et a besoin d'un traitement pas exclusivement punitif. Rappelons qu'une partie importante des déviants est déficiente, qu'il est facile de comprendre pourquoi leurs délits sont souvent l'expression naturelle de leur personnalité, comme une vie honnête l'est pour les citoyens normaux. De ce fait, l'on considère le principe de la peine très discutable. On affirme par conséquent que l'utilisation de la peine doit être profondément modifiée ou dans certains cas abolie et que les prisons, pour éviter qu'elles agissent comme facteurs criminogènes, doivent être transformées en établissements organisés selon les exigences les plus modernes des sciences médicales, psychologiques, sociologiques et pédagogiques. Il faut noter, en outre, que de telles conceptions sur la nécessité d'une transformation profonde des principes dont doit s'inspirer à présent la lutte contre la délinquance rencontrent un accueil favorable de plus en plus large chez les scientifiques de tous les pays. Le code pénal, selon eux, doit être complété par un code de défense sociale, qui assure la défense de la société et la rééducation du délinquant. Il est nécessaire d'assortir l'œuvre du juge à celle d'un psychiatre, d'un criminologue, chargés d'étudier la personnalité du prévenu ou détenu. Mais, toujours plus fortement, s'affirme la nécessité de mettre en œuvre des moyens de défense sociale nouveaux et plus efficaces, en instaurant une politique criminelle basée sur l'étude et la connaissance de la personnalité humaine. Il est en tout cas bien certain que la politique criminelle de nombreux pays s'oriente résolument vers les idées de la prévention du délit et du traitement des délinquants. En ce qui concerne ce second volet, il est utile de rappeler que toute réforme pénitentiaire doit avoir à sa base certains principes d'une importance fondamentale. Toute réforme pénitentiaire doit avant tout aller de pair avec la réforme des lois pénales, pour éviter que, comme il arrive actuellement, il puisse à un moment donné se produire une disharmonie ou un contraste entre les buts poursuivis par les institutions pénitentiaires. Il faut donc que toute réforme pénitentiaire procède d'une réforme plus vaste, et soit subordonnée à celle des lois pénales qui doivent fixer le but de la peine et indiquer les principes du traitement à appliquer au délinquant. Une réforme pénitentiaire qui veut être réellement utile à l'individu et à la société doit s'adapter aux conditions sociales, économiques et spirituelles du pays. Elle doit se réaliser sur la base d'une connaissance, aussi large et précise que possible, des conditions ethniques et des caractéristiques anthropologiques, sociales et économiques du pays; car de cette façon seulement pourront être créées des institutions vraiment utiles tant aux fins de la prévention du crime que de la rééducation du délinquant. En Tunisie, les années 1970 ont vu la naissance de la direction de la rééducation issue d'un petit service pénitentiaire rattaché à la direction générale de la Sûreté nationale, avec la volonté de mener une véritable action rééducative. A cet effet, feu Mhamed Bettaïeb et quelques-uns de ses jeunes collaborateurs ont entrepris de jeter les bases des grands principes et fondements de la rééducation, ses bienfaits sur le délinquant et la communauté. Ce fut une véritable révolution. L'administration pénitentiaire découvrait ainsi l'importance du phénomène criminel et de la rééducation. Depuis la fin des années 1980, la nouvelle direction générale des prisons et de la rééducation a été l'outil, sinon l'arme, d'un pouvoir politique avide d'asseoir sa dictature et d'imposer sa force à toute tentative démocratique de défense réelle des droits de l'Homme et des libertés. Les événements constatés et les résultats enregistrés depuis le 14 janvier 2011 ont révélé la faiblesse, la médiocrité de notre système pénitentiaire et surtout le danger que représentent nos prisons qui se sont transformées en de véritables écoles et centres d'apprentissage du crime. Nouvelle organisation du travail Les divers établissements créés ces dernières années dans certains pays développés présentent une structure et une organisation entièrement originales et d'un très grand intérêt scientifique et social. Ceci est dû au fait que s'est affirmée l'idée que les détenus sont en prison pour y subir un traitement éducatif plus que pour y être punis. Partant de ce principe, la structure intérieure et extérieure des nouveaux établissements pénitentiaires poursuit les buts suivants : – Choix du traitement que doit subir chaque délinquant. – Le bon fonctionnement de tous les services. – Maintien d'une discipline appropriée aux différents types de détenus, d'où l'importance capitale de la classification des détenus selon le degré de dangerosité de leur personnalité. Cette classification prend en compte essentiellement : – L'âge du condamné ou prévenu. – Ses antécédents judiciaires. – La durée de la peine. – Le caractère de l'infraction commise. – Le degré de dépravation et la possibilité de resocialisation. – L'état psychique et caractériel du condamné. Partant du principe que souvent l'individu qui entre en prison est en général un sujet peu doué ou apte pour la vie en société, ces établissements ont surtout comme but de le rendre meilleur, d'essayer de le réadapter à la vie sociale. Ce sont là les objectifs essentiels de l'unité d'observation et de traitement implantée au sein de chaque institution pénitentiaire. Dès son arrivée, l'individu est entouré de la part du personnel, ainsi que de l'assistant social, d'attentions particulières destinées à respecter sa dignité, à développer les initiatives considérées utiles aux fins de sa rééducation. Le premier mois de sa détention est consacré à l'observation; le délinquant est soumis à tous les examens et à tous les interrogatoires jugés nécessaires pour connaître ses aptitudes physiques, psychiques et sociales… A la fin de cette période d'observation, les fonctionnaires chargés de ces enquêtes ont à rédiger un rapport, qui sera porté à la connaissance de la commission pénitentiaire sous la responsabilité du juge de l'application des peines. Il y a d'abord le rapport du médecin qui doit étudier l'état de santé de l'individu, noter la nécessité d'un éventuel traitement médical, signaler l'aptitude de l'individu au travail, et même fixer les principes directeurs selon lesquels le détenu doit être traité du point de vue de l'hygiène générale. Vient ensuite le rapport du psychiatre qui a le devoir d'examiner l'individu du point de vue de la psychopathologie clinique, de suggérer tout traitement psychiatrique éventuel. Il y a, en outre, le rapport du spécialiste en pédagogie qui a la tâche d'indiquer le besoin de chaque détenu pour le cours à suivre et la formation professionnelle, en vue de fixer les critères plus utiles au choix du travail et à l'orientation professionnelle, en tenant compte des préférences et des capacités de chaque détenu. Et enfin le rapport de l'assistant social qui a le rôle de préparer les conditions nécessaires au retour normal de chaque détenu à la liberté. Dans ce but, l'assistant social doit étudier, aussi parfaitement que possible, les antécédents familiaux du détenu, connaître à fond le milieu où il a vécu, ses principales habitudes, tenter de connaître et de rechercher les raisons de son activité délictueuse. Il a encore le devoir de maintenir dans les limites du possible les rapports les plus étroits entre le détenu et le monde extérieur d'où il vient, en particulier la famille, les parents et les connaissances, pour pouvoir préparer les conditions favorables à sa libération. Tous ces rapports serviront à établir un programme de traitement pour chaque détenu. A intervalles réguliers, le détenu est soumis à l'examen sévère de la commission pénitentiaire, composée de tous ceux qui ont rédigé les rapports mentionnés sous la responsabilité du juge de l'application des peines. Le but de cet examen est aussi de permettre au détenu de faire connaître ses aspirations et de l'informer des possibilités de sa mise en liberté. Pour tenter de bien réussir son action rééducative et pour éviter la récidive, toute réforme pénitentiaire doit donc s'appuyer sur certaines mesures essentielles et nécessaires, telles que principalement : — Décriminaliser le droit pénal. — Promulguer tout un faisceau de lois et procédures, surtout pour le traitement des délinquants en milieu ouvert ou semi-ouvert sur : • la protection de la jeunesse • la probation • le travail d'utilité publique • les mesures d'arrêt de fin de semaine • le travail pénitentiaire des détenus, etc. — Revoir et valoriser le rôle du juge de l'application des peines. — Formation et recyclage appropriés des surveillants et cadres de l'institution pénitentiaire. — Envisager la construction de petites et moyennes unités de détention selon les buts poursuivis. — Créer des unités d'observation et de traitement dans chaque institution pénitentiaire. — Créer une commission pénitentiaire dans chaque établissement sous la responsabilité du juge de l'application des peines. — Créer un centre hospitalier pour les détenus malades. — Favoriser la création d'associations pour soutenir et aider les détenus et leurs familles, surtout après la libération. — Créer un centre de recherche multidisciplinaire en criminologie clinique, etc. Ces quelques suggestions pour une réforme pénitentiaire efficace n'ont pas la prétention d'avoir apporté toutes les solutions appropriées aux questions de l'emprisonnement, elles attirent néanmoins l'attention sur la nécessité d'avoir et d'appliquer une politique claire en la matière, de mettre sur pied les structures adéquates suivant une programmation planifiée à moyen et long terme. (*) Criminologue