On avait eu droit il y a quelque temps à la première partie du travail de réédition d'une œuvre qui date de la fin du XIXe siècle et qui est, en gros, une présentation documentée et vivante des «auteurs latins d'Afrique». Cette œuvre, nous la devons à Paul Monceaux et il est juste de dire qu'elle représente une référence incontournable et précieuse pour tous ceux qu'intéresse la littérature tunisienne ou, plus largement, africaine, de l'époque romaine. Voici depuis peu, et toujours grâce aux éditions Cartaginoiseries, ainsi qu'à l'historienne Leïla Ladjimi Sebaï qui assure la présentation, la deuxième partie. Ce volume, qui comporte dix chapitres, s'attarde sur les auteurs eux-mêmes, sans s'embarrasser ni d'introduction qui replacerait cet épisode littéraire dans son contexte historique ni, non plus, de conclusion : ces considérations générales existent mais, justement, elles ont fait l'objet du premier volume. Voici donc, de plus près pour ainsi dire, à travers détails biographiques et morceaux choisis, des auteurs dont les noms sonnent, avouons-le, comme ceux de parfaits étrangers : Manilius, Cornutus, Némésien de Carthage, Térentien le Maure, Nonius de Thubursicum, Victorin, Charésius, Aurélius Victor, Martianus Capella... D'autres noms sont peut-être plus connus : Fronton, qui fut assez illustre de son temps et même après en tant que rhéteur, Aulu-Gelle, le grand Apulée avec son fameux roman, l'Ane d'or, ou Macrobe. Ceux qui ont quelque connaissance de l'histoire romaine savent sans doute que certains empereurs venaient d'Afrique et que, parmi eux, il y en a qui ont manié la plume comme les Sévères et les Gordiens. Ou que des rois berbères, comme Juba, se sont laissé entraîné sur cette pente de l'écriture. Tout ce monde s'est donc laissé prendre de passion pour l'éloquence à la mode latine, dans la langue d'Horace et de Virgile... Certes, la façon dont Monceaux nous parle de ces hommes, alors que la France a assuré depuis quelques décennies sa mainmise sur l'Afrique du Nord, peut susciter des interrogations: est-il en train de rappeler que la France ne fait que reprendre le relais de la Rome antique dans une domination européenne sur cette région qui favoriserait l'expression du génie ? Ou souligner à l'adresse des autochtones à quel point leurs ancêtres sur cette terre ont pu se frayer un chemin vers la gloire littéraire au sein de cet empire romain dont la France ne ferait donc que reprendre l'aventure civilisatrice ? Ces questions sont légitimes, mais ne devraient pas prendre plus de place qu'elles ne doivent : il est certain que Paul Monceau a été fils de son temps, et son temps est celui de la colonisation, mais ce qu'il lègue à la postérité est malgré tout un ensemble de connaissances qui concernent bien une partie de notre histoire : une partie de notre histoire que nous ne pouvons plus continuer d'ignorer sous prétexte que la période coloniale avait ses propres visées en voulant nous la faire découvrir. En tout cas, la découverte de ces figures littéraires qui font bel et bien partie de notre passé, outre qu'elle comble un vide dans la culture générale de beaucoup d'entre nous, répond aussi à une urgence politique, en ce sens que si, comme certains y insistent, notre héritage culturel arabo-musulman doit être réhabilité, il est d'autant plus important que cela ne se fasse pas sous le signe de l'occultation de ce qui précède, mais au contraire sous le signe d'une affirmation de la diversité foncière de notre legs culturel et littéraire... On lira donc avec un mélange de curiosité et d'intérêt ce second volume des «Auteurs latins d'Afrique», en regrettant peut-être quelques petites imperfections, fautes d'accents ou de ponctuation essentiellement.