Par Bady BEN NACEUR Tunisiens que nous sommes, nous faisons partie d'une même histoire : celle de la Méditerranée avec «son ensemble de paysages, de cultures, d'hommes et de femmes présentant des caractères communs, mais aussi des aspects dissemblables», pour reprendre l'expression de Giovanna Tanzarella de la Fondation René Seydoux*. Nous faisons partie de ces pays très divers, par leur taille ou leur situation, des langues et des parlers nombreux, des religions de la même famille mais «concurrentes», des niveaux de vie différents. Dans le passé, l'histoire de Carthage fut l'une des plus prestigieuses de la Méditerranée. Le «Carrefour de civilisations» fut le «centre du monde» et même «le monde» que ce soit sur le plan de l'histoire, des idées, des échanges économiques, des inventions, des découvertes, de l'art et de la culture. Et puis, durant des siècles, à la merci de moult envahisseurs, de saccages et de spoliations, nous avons perdu «cette plénitude de sens, de signification» pour reprendre encore les mots de G. Tanzarella. Nous sommes devenus comme ce coquillage vidé de sa substance charnelle, à la merci du flux et du reflux des vagues temporelles, de cette même Méditerranée. Mais, pourtant, ce «bagage complexe d'histoire et de sentiments», qui faisait la caractéristique de notre pays, existe encore, grâce à ses strates nombreuses, cet «immense et compliqué palimpseste de la mémoire» (Charles Baudelaire). Avec l'ère de la mondialisation, depuis les deux dernières décennies, et avec l'accord tacite de nos gouvernants mafieux et hors-la-loi, des instances internationales de décision, des non-Méditerranéens, à travers leurs institutions financières, leurs organisations politiques, leurs alliances militaires, leur prétendu «commandement divin», ont essayé de nous faire croire que l'aire méditerranéenne n'avait plus d'existence propre. Que nous n'avions plus de présent ni d'avenir et que les illusions de notre passé n'étaient que pures chimères. Mais voilà, la révolution du 14 janvier est venue tout remettre en question, dressant, par à-coups, un état des lieux de nos liens avec notre passé que les palinodies de certains hommes politiques, tentent encore de récupérer pour d'obscurs desseins. Qu'ils soient d'Orient ou d'Occident d'ailleurs. Certains mêmes, encore scandalisés de voir qu'un petit pays comme la Tunisie ait pu accoucher d'une si grande révolution qui a fini par faire le tour du monde! Le moraliste, Jean de La Fontaine, doit se retourner dans sa tombe pour avoir écrit sa fable «La grenouille et le bœuf»! On a cherché, depuis des mois, à étouffer cette inespérée révolution. A commencer par les caciques de l'ancien régime, puis leurs alliés d'hier qui cherchent, déclarent-ils, à nous aider et nous assister mais avec parcimonie. Comme si nous étions des mendiants! Nous avons pourtant bien des potentialités et des richesses à exploiter et à thésauriser. A commencer par notre imaginaire toujours fécond et la force prodigieuse de cette jeunesse, cultivée, intelligente, entreprenante et sûre d'elle-même. La révolution tunisienne est un mythe porteur, une arme chargée de futur. (*) In : La Méditerranée réinventée, Edition La Découverte.