Par Abdelhamid GMATI «Toutes les civilisations ne se valent pas», a affirmé le ministre de l'Intérieur français, il y a une dizaine de jours. Cela a immédiatement provoqué un tollé au sein de la classe politique et civile française. Il a même été hué par des députés à l'Assemblée nationale française. Certains ont dénoncé ces propos, énoncés dans une perspective électoraliste et apparentés à du racisme, voire à du nazisme. Le ministre précisait le lendemain (7 février), que «pour moi ce qui est en cause c'est la religion musulmane» et il rectifiait, un peu plus tard que «mon propos de bon sens et d'évidence ne visait aucune culture en particulier, ni nos concitoyens de confession musulmane qui respectent et adhèrent pleinement aux valeurs de la République, et dont la République respecte et protège les croyances». Quelques jours plus tard, aux Antilles où il a été très mal reçu, il déclarait : «Pour moi, une civilisation, ce n'est pas quelque chose qui est figé dans le passé, c'est quelque chose qui évolue, bien évidemment. Et, très clairement, la civilisation française d'aujourd'hui est meilleure que la civilisation française de l'époque à laquelle on autorisait l'esclavage, elle est meilleure que la civilisation française de l'époque où on pratiquait la peine de mort, elle est meilleure que celle à laquelle les femmes n'avaient pas le droit de vote». Cette polémique est franco-française et les analystes professionnels discutent du bien-fondé — ou de l'inanité — de cette affirmation du ministre français. Là n'est pas notre propos. Mais il serait intéressant de la considérer à notre niveau quotidien, de citoyen lambda, «Ici bas». D'abord, qu'est ce qu'une civilisation? Plusieurs conceptions, mais on s'entend sur une définition: «La civilisation, c'est d'abord l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur le plan technique, intellectuel, politique, que moral, sans porter de jugement de valeur. À ce titre, on peut parler de civilisations au pluriel et même de civilisations primitives». Selon d'autres, «l'idée de civilisation désigne les progrès accomplis par l'humanité dans une nation donnée lorsqu'il fut possible de passer de l'état de barbarie à celui de citoyen, de civil ou de civilisé». Retenons qu'une civilisation n'est pas hermétique, ni close, qu'elle se développe en s'inspirant d'autres, et qu'elle dépend de plusieurs facteurs géologiques, économiques, culturels... La civilisation scandinave s'est développée selon les conditions climatiques et économiques de la région. A l'inverse, les peuples du Sahara ont évolué et adopté un savoir-faire, un mode de vie, une culture, des références, des valeurs propres à leurs conditions spécifiques. Cela veut dire qu'on ne peut juger une civilisation: elle est spécifique. De plus, les civilisations sont, pour ainsi dire, «inter actives». Les sionistes, relayés par un certain nombre de «penseurs» occidentaux ne cessent de nous asséner le concept de «civilisation judéo-chrétienne». Ah oui ? Et les apports des civilisations grecque, romaine, byzantine, perse et autres ? Et les innombrables apports de la civilisation arabo-musulmane? Il n'existe pas de civilisation judéo-chrétienne: il n'y a que des valeurs communes comme «les droits de l'Homme» («les droits humains, diraient nos amis canadiens, qui veulent spécifier les droits de la femme et de l'enfant»). Ceci nous ramène à notre pays. Les Tunisiens, tous réunis, savent très bien qu'ils ont développé une civilisation propre à eux. Leur Histoire le prouve. Premier pays de la région à se doter d'une Constitution et d'établir un Etat, précurseur des libertés, des luttes pour l'indépendance, du syndicalisme, de la garantie des droits de l'Homme, de l'égalité hommes-femmes, du droit de vote universel (y compris celui des femmes), etc. Même en matière de Révolution contemporaine, la Tunisie a montré le chemin. Mais cette civilisation, même particulière, recèle et diffuse des valeurs universelles. La Tunisie a eu des hommes et des femmes politiques énormes, même à l'échelle mondiale : les Didon, Hannibal, Jughurta, Massinissa, La Kahéna, Okba Ibnou Nefâa, Tarek Ibnou Zyad, Ibn Khaldoun, Tahar Haddad, Mohamed Ali Hammi, Moncef Bey, Farhat Hached, Salah Ben Youssef, Habib Bourguiba et bien d'autres (excusez, l'énumération n'est qu'indicative et non restrictive). Tout cela a développé une civilisation bien tunisienne qui ne ressemble à nulle autre. Elle n'est ni supérieure, ni inférieure : elle est Autre. Alors ? Pourquoi nous amener ces salafistes, ces islamistes, ces wahabistes, afghanistes, ces prédicateurs (obsédés sexuels et probablement pédophiles) qui parlent «d'excision», qui font des «fetwas» d'une chose et son contraire, qui appellent au meurtre alors que l'Islam le prohibe, autorise le mariage «orfi», alors que l'Islam l'interdit, ces «on ne sait trop quoi» qui n'ont rien à voir avec notre civilisation, notre concept de la religion, avec nos valeurs, développées depuis des millénaires ? Désolés mais leurs barbes, leurs niqabs, leurs robes, leur noirceur, leur moyen âge, ne sont pas les nôtres. Et, comme disent certains, même s'ils «sont nés Tunisiens», ils ne sont pas Tunisiens. Car «malheur à celui par qui le scandale arrive». En Islam, cela veut dire «malheur à celui qui perturbe et apporte la sédition au sein de la communauté».