Le panier de la ménagère s'allège en ingrédients, mais s'alourdit en coût. Triste réalité pour les chefs de famille qui se trouvent plus que jamais coincés entre l'enclume d'un approvisionnement vital en aliments de base et le « marteau tyrannique » des prix. Si les Tunisiens ont pris l'habitude de rechigner sur la cherté de la vie, ils se trouvent, de nos jours, confrontés à des hausses inhabituelles des prix des denrées alimentaires. S'ils montraient du doigt les prix inaccessibles du poisson ou de la viande rouge, comme étant un sacrilège face au revenu standard, ils subissent actuellement le mercure sans pitié des prix relatifs aux légumes et aux fruits. Au Marché central, les commerçants avouent cette réalité. Certains affirment même la régression de la demande. Les consommateurs, eux, dénoncent la flambée des prix et appellent à la mise en place de stratégies et de mesures à même de sauver la situation. Mardi 21 février 2012, 11h00. Tunis grouille de monde. Le marché central accueille une clientèle moins nombreuse que d'accoutumée. A cette heure où les courses sont généralement à leur paroxysme, le pavillon des légumes et celui des fruits sont quasi-déserts. Seuls une poignée de consommateurs sillonnent le lieu et recommandent des petites quantités de légumes ne dépassant pas la monnaie de cinq dinars. M. Hadi est l'un des doyens du marché. Il propose des légumes de saison, à savoir des petits pois, des artichauts et des blettes. «L'approvisionnement en légumes est disponible en bonne quantité. Toutefois, la hausse des prix correspond aux légumes non saisonniers, comme les tomates et les poivrons, ce qui est tout à fait normal. Ce qui est illogique, en revanche, c'est que le consommateur ne sait pas s'adapter à l'offre et exige que de tels légumes se vendent à des prix dérisoires», s'exclame notre interlocuteur. Si M. Hadi responsabilise le consommateur, d'autres voient la situation d'un angle moins tranchant. C'est le cas de M. Jalel Baroumi, marchand de légumes. Selon son avis, certains paradoxes tournent autour de l'approvisionnement en légumes. «L'approvisionnement en légumes n'est pas au top. Pourtant, les agriculteurs rassurent sur ce point. L'hypothèse d'une exportation inappropriée vers la Libye n'est pas à exclure. Et pour preuve : le coût de certains légumes de saison s'avère exceptionnellement élevé cette année. Les pommes de terre sont de mauvaise qualité. Elles nous proviennent de dépôts de stockage de Jendouba. De 500 millimes le kilo elles sont passées à 700 millimes», fait-il remarquer. Il ne manque pas de mentionner le prix des céleris et du persil qui ont atteint les 700 millimes la botte, alors qu'elle ne devrait pas excéder les 400 millimes tout au plus. «Certes, ajoute-t-il, les intempéries ont beaucoup influé sur la collecte des légumes. Toutefois, certains agriculteurs profitent de la situation pour imposer une marchandise de mauvaise qualité. Ils recourent même à la vente conditionnée. Voyez ces minuscules pommes de terre, je suis obligé de les acheter afin de pouvoir en acheter les grosses». Un peu plus loin se trouve le stand de M. Mohamed Ayari. Pour lui, l'année 2012 est la pire des années en matière de commerce. Elle se caractérise par la baisse de l'offre et celle de la demande. En effet, M. Ayari explique le manque d'approvisionnement en légumes par l'effet de la chute de neige sur la récolte, mais aussi par la spéculation à laquelle s'adonnent volontiers certains agriculteurs. «Cela a un impact direct sur la hausse des prix des légumes endommagés par la chute de neige et ceux, hors saison, comme les tomates, les poivrons, les aubergines, les courgettes et les concombres. Les oignons rouges que je vends sont à 1,380D le kilo, ils sont hors saison et datent de 2011. Leur prix se justifie par le coût de stockage et de congélation», explique-t-il. Fruits de saison aux prix hors saison Côté fruits, la situation n'est pas plus rassurante. Seules les oranges dites «chemi» se vendent à un prix abordable de 980 millimes le kilo. «L'offre est moyennement bonne, excepté pour quelques variétés, comme le coing ou encore les mandarines. Les agrumes ne sont pas aussi disponibles que d'habitude, pourtant, ce sont des fruits de saison. Aussi, les oranges ont-elles atteint le prix de 3,450D, alors que l'année précédente, et durant cette période, elles ne dépassaient pas les 2,800D», indique M. Mahdi Chaouachi, commerçant. Et d'ajouter que pour les fruits importés provenant de Libye, comme les pommes rouges et autres, jaunes de gros calibre, les autorités les confisquent à la frontière. Autre marchandise capitale pour le panier de la ménagère modeste: le poulet. Lui aussi fait la tête et se montre de plus en plus hautain. «Récemment, les prix des denrées alimentaires ont gonflé. Celui du poulet a presque triplé au bout de trois ans, ce qui n'est pas au profit de la classe moyenne», indique une consommatrice qui s'est abstenue de dire son nom. Un avis que partage M. Taoufik Daâs, marchand de volailles au Marché central. Ce monsieur ne comprend pas la hausse exorbitante des prix, la répugnance du consommateur et la demande qui demeure, contre toute attente, constante. «L'année dernière, le poulet se vendait à 3,600D le kilo. Actuellement, il est à 5,200D. Quant à l'escalope de dinde, elle est passée de 7,500D à 8,900D. Il faudrait intervenir auprès des sociétés de production pour tenter de trouver une solution quant à cette augmentation des prix», souligne notre interlocuteur. Citoyens : appel à des mesures d'urgence Si les commerçants tentent, un tant soit peu, d'expliquer une réalité difficile à vivre aussi bien en tant que commerçants que consommateurs, les clients, eux, trouvent que la cherté des prix est le résultat d'une absence de mesures de contrôle susceptibles de défendre le consommateur et de protéger son pouvoir d'achat. Pour Mme Radhia, institutrice, les politiciens sont appelés à se pencher sur le quotidien du Tunisien et non de rester dans leur bulle idéologique. «La vie devient de plus en plus dure à mener et personne ne daigne intervenir», souligne-t-elle indignée. De son côté, M. Hassen Khelifi, responsable à la Poste, trouve que la situation est à décrypter en prenant en compte son contexte général. La solution réside, selon son avis, dans la régulation du marché grâce, d'abord, à la garantie d'une réserve alimentaire permettant l'équilibrage infaillible de l'équation offre/demande. «Il convient, également, de faire face aux spéculateurs et de prendre en considération l'excès de production afin de focaliser sur le produit local et de n'importer qu'en cas de nécessité. L'Etat est appelé à faire face au commerce clandestin et au trafic qui se déroulent sur les frontières tuniso-libyennes, et ce, afin de stopper cette hémorragie commerciale», propose M. Khelifi.