Est-on, désormais, condamné à parler d'Ennahdha à l'occasion de tout débat où l'on parle de religion et de politique? Et même si les représentants de ce parti ou de cette mouvance brillent par leur présence bien qu'invités comme ce fut le cas, hier, lors du débat organisé par l'Observatoire arabe des religions et des libertés sur le thème : «Les démocraties chrétiennes sont-elles des mouvances religieuses», il s'est trouvé des intervenants qui ont dénoncé l'inactivité d'Ennahdha depuis qu'elle a accédé au pouvoir et d'autres qui se sont élevés contre l'incompréhension et l'attitude de rejet dont l'Occident fait montre à l'égard de l'Islam. Hier, on avait le sentiment que l'ombre des islamistes planait sur la salle qui a abrité, une après-midi durant, les travaux de ce séminaire où trois personnalités européennes (belge, italienne et allemande) sont venues parler des relations entre la religion et l'Etat, de la démocratie chrétienne en Allemagne et en Europe et de la démocratie formelle et de la démocratie substantielle. Objectif du débat, selon les dires de Mohamed Haddad, président de l'Observatoire arabe des religions et des libertés, initiateur du débat : pourquoi ne pas avoir une démocratie islamique à l'instar des démocraties chrétiennes en Europe, principalement en Allemagne, en Italie et en Belgique ? Une Constitution rédigée en 5 mois Premier intervenant, le Pr Vincent Dujardin, enseignant à l'université catholitique de Louvain, a donné une communication sur le thème : «Les relations entre religion et Etat en Belgique : de la constitution de la vie politique» dans laquelle il est revenu à la naissance de la Belgique et à sa libération de la domination des Hollandais en 1830, date à laquelle ils ont décidé de rédiger leur Constitution. «Un travail qui a été placé sous la devise «l'union fait la force» entre catholiques et libéraux qui ont mis cinq mois pour donner naissance à une Constitution assez libérale mais favorable à l'Eglise». Le Pr Dujardin distingue trois articles marquants de la Constitution belge. «D'abord, l'article 14 relatif à la liberté des cultes et à leur exercice public, ce qui équivaut au pluralisme religieux. Ensuite, l'article 15 qui dispose que nul ne peut être obligé à observer un culte particulier, ce qui revient à l'instauration de la possibilité de ne pas avoir de religion. Enfin, l'article 16 qui énonce que l'Etat n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination des ministres du culte (autorités religieuses). Toutefois, ces ministres du culte sont rémunérés par l'Etat sans qu'il puisse avoir d'emprise sur eux». Pour que les fascistes ne reviennent pas «Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne était détruite et les anciens de la République de Weimar ont rassemblé les protestants et les catholiques pour la création de la démocratie chrétienne et ce fut un nouveau départ avec la naissance de la CDU (Union de la démocratie chrétienne), la CSU (Union social-chrétienne) en Bavière», souligne Konrad Schwaiger, ancien député CDU au Parlement européen, en parlant de «la démocratie chrétienne en Allemagne et en Europe». Le conférencier distingue la présence de trois confessions en Allemagne : «Les protestants et les catholiques qui ne fréquentent pas régulièrement les églises et ceux qui déclarent ne pas avoir de religion. Cependant, dans la CDU et la CSU, on trouve les catholiques, les protestants et les non-croyants que deux valeurs cardinales rassemblent: la dignité et l'égalité, outre la solidarité avec les catégories démunies». L'ancien député européen fait remarquer que la CDU ne constitue pas une mouvance religieuse «dans la mesure où parmi nos rangs militent des non-croyants». Comment le Parti populaire européen sur les listes duquel Konrad Schwaiger a passé 10 ans au Parlement européen, est-il parvenu à s'imposer comme le premier parti au sein du Parlement européen ? «Nous avons rassemblé les partis qui ont adopté l'économie sociale du marché et qui travaillent pour le même objectif, à savoir la construction de l'Europe lentement mais sûrement, sur fond de démocratie et de participation». De son côté, Alberto Melloni, titulaire de la chaire Unesco pour le pluralisme et la paix religieuse à l'université italienne de Bologne, a révélé dans son intervention que la Constitution italienne a été rédigée en une année et demie alors que l'Assemblée constituante a été élue en juin 1946. Il est revenu au contexte historique pour rappeler que les catholiques et les socialistes étaient exclus de la vie politique. Après la Seconde Guerre mondiale, «ce sont les professeurs de Milan formés à l'idée constitutionnaliste qui ont rédigé la Constitution», précise-t-il. «L'ouverture à la démocratie était à la base de la participation des jeunes générations avec une idée générale que la Constitution défend uniquement les libertés qui aident à l'instauration d'une société démocratique et qu'il ne faut admettre que les partis d'obédience démocratique, l'objectif recherché étant de couper la voie au retour des fascistes, sous aucune forme», précise-t-il encore. Ennahdha a-t-elle confisqué nos libertés ? D'emblée, les participants au débat posent le problème d'Ennahdha qu'ils accusent d'avoir «confisqué les libertés et de nous proposer un islam dans lequel la majorité des Tunisiens ne se reconnaissent pas». Un avis qui n'est pas partagé par un autre intervenant, estimant que le «processus démocratique est sur la bonne voie», contrairement à l'intervention d'une jeune étudiante qui dénonce «l'incapacité d'Ennahdha à concrétiser ses promesses et à pousser le pays sur une voie dont personne ne connaît le bout». D'autres se sont interrogés sur le sort des minorités dans les pays européens, sur la criminalisation du blasphème à l'encontre de Dieu et du christianisme, sur l'Union européenne, ce club chrétien fermé, selon certains politiciens européens, sur le rôle de la religion et son influence pour ce qui est de la continuité de l'Etat malgré l'instabilité gouvernementale en Italie ou la non-formation d'un gouvernement pendant 541 jours en Belgique, etc.