En présence du Dr Patrick Delaroche (président de l'école francophone de psychanalyse en Tunisie), de la secrétaire de la même école, Hager Karray ( psychiatre et psychanalyste), d'étudiants et de professionnels du domaine, la psychanalyste et psychologue clinicienne Jacquemine Lathan Kœnig, qui nous vient de l'île Maurice, a donné samedi dernier, au café culturel Tahar-Haddad, une conférence intitulée «Violences de l'identité». Cette enseignante en psychanalyse qui collabore, depuis l'an 2000, à la formation de psychanalystes en Bulgarie et en Tunisie, nous a proposé dans sa conférence un éclairage sur la notion de l'identité psychique de l'être, la crise identitaire, l'identité nationale et communautaire et sur le problème de la violence dans le monde contemporain. «L'identité, qui signifie à la fois égal et semblable, peut être usurpée. Dans ce sens, on parle d'identités religieuses, communautaires, d'appartenance ethnique et aussi sexuelle. Face à ces problèmes, que penser alors de l'identité psychique? Comment se construit-elle et en quoi la violence en est-elle une partie constituante?», s'est interrogée la psychiatre. Complexité de l'identité Le petit humain est celui qui, de toutes les espèces vivantes, naît le plus immature. Cette prématurité le rend totalement dépendant de l'autre pour sa survie. L'enfant serait donc identifié par sa mère tant sur le plan imaginaire (ce qu'elle construit comme représentations de ce futur enfant) et celui symbolique (par sa parole même) que réellement par ce qu'elle éprouve, dans son corps. Cette identification de l'Autre (qui passe par le fait de s'y identifier) serait alors cette façon complexe de reconnaître quelqu'un, de se le représenter et de le situer dans l'altérité. C'est par ce même mécanisme qu'un petit enfant va commencer à se représenter le monde. «Dans son article sur la négation, rédigé en1925, Freud parle de cette question; c'est-à-dire comment l'enfant construit ses représentations. Il définit le jugement d'attribution et le jugement d'existence. Ces deux jugements sont totalement intriqués, mais c'est le jugement d'attribution qui précède et qui détermine le jugement d'existence», a souligné la psychanalyste dans son intervention. Cet enfant « identifié» tentera par la suite de prendre sa place dans ce monde de langage et de parler à son tour. C'est sa mère (identifiée et identifiant son enfant) qui lui attribuera un certain nombre de sentiments et lui prêtera des intentions et des demandes par rapport auxquelles cet enfant devra se situer. Sa question se précisera dès lors en termes de «que me veut l'autre?». Au cours de cette même période de la vie, l'enfant passe par l'expérience de ses premières identifications, c'est-à-dire la première perception de l'autre, le semblable. «Un enfant qui voit un autre enfant se délecter au sein de sa mère, et qui n'éprouve aucune satisfaction, a le sentiment que l'Autre la lui vole. Ainsi, tout étranger sera le voleur potentiel de sa propre jouissance», a précisé Latham Kœnig. Et d'ajouter : «Nous nous constituons en attribuant à l'Autre tout ce qui nous frustre». Ce sentiment de frustration et de violence, que l'on continue à attribuer à l'Autre, revient sous la forme d'actes manqués et de rêves. En se référant aux écrits et analyses de Freud, la psychanalyste a précisé que l'être humain qui se trouve assujetti, divisé, puisque manquant, et à la recherche d'une identité, peut se trouver dans des situations de déconstruction du Moi. Le Moi se dissout, par exemple, dans les états amoureux, ou dans les situations de danger, de maltraitance sociale ou personnelle qui peuvent mener à des conduites à risques pour soi et pour les autres. La violence serait-elle contenue dans la langue ? La violence de l'identité s'exerce lorsque l'homme perd des occasions de penser et quand il est réduit à une et unique identité. Aujourd'hui, dans l'Histoire récente de la Tunisie, on remarque ce qu'on appelle l'interdiction de penser, cette forme de privation qui réduit chacun à une seule identité, alors que nous savons jusqu'où une telle réduction peut mener. En Europe, à titre d'exemple, il s'agit même pour certains d'effacer le nom (appartenant à la symbolique du langage) pour le remplacer par un numéro tatoué sur un bras. En effet, chacun garde l'espoir qu'un jour, il pourra ne pas être dans le «manque», car nous nous construisons dans l'angoisse de la perte, dans la violence de l'altérité, dans l'assujettissement à l'Autre. L'être continue à croire que l'Autre pourrait avoir ce qui lui manque : l'autre sexe, l'autre peuple, l'autre culture... Le débat qui a suivi l'intervention a porté sur les questions du repli identitaire, du malaise dans la culture, du culte de soi et des notions de haine et d'amour et de leurs rôles dans la construction de l'identité chez les êtres humains.