On fait des cauchemars dont on ne connaît ni les raisons, ni l'explication. On n'arrive pas à savourer les moments de bonheur. On a soudainement des crises d'angoisse et d'anxiété. Face à ce genre de problème certaines personnes croient à des forces surnaturelles et recourent aux charlatans. D'autres font avec ou alors consultent des médecins et des psychiatres mais dans le cadre d'une solution à court terme en prenant des médicaments, somnifères, antidépresseurs, anxiolytiques, ou alors thérapie comportementale ou cognitive. Seulement, il faut parfois creuser pour trouver la raison du mal, remonter un peu trop loin, passer des années à chercher. C'est la psychanalyse ! Elle demande de la patience certes, mais confronte l'analysant à la source de son mal. Le Tunisien adhèrera-t-il facilement à ce long cheminement en soi ? La psychanalyse trouve-t-elle sa place en Tunisie ? Depuis sa découverte par Freud, la discipline marque la connaissance de l'inconscient comme thérapie pour trouver les sources des maux du conscient. Plusieurs écoles ont été créées depuis sa naissance, mais le principe reste le même : l'analysant doit trouver l'origine de ses problèmes dans le refoulé, dans ses souvenirs, même ceux qui ont « été enterrés » par sa mémoire vive. Le cheminement de la Psychanalyse La psychanalyse a fait son entrée en Tunisie depuis des années. Relativement moins adaptée que les autres thérapies, qui réagissent plutôt sur « le court terme », elle connaît néanmoins de plus en plus « d'adeptes ». On se demande alors si cette discipline, originaire de l'Occident, peut s'appliquer à notre société. Le problème se pose aussi sur le niveau du travail que l'analysant doit faire sur soi. En collaboration avec son analyste certes, mais c'est lui qui doit aller jusqu'au bout. Et puis, un psychanalysant a-t-il toujours la force et surtout l'envie de découvrir ce que risque son inconscient de lui révéler ? Cela semble simple : on entre, on tourne le dos au psychanalyste, on s'allonge sur un divan confortable et on commence à parler. C'est l'image que nous donnent les films, l'image commune partout dans le monde. Mais ce que l'on ne sait pas, c'est qu'en entrant chez un psychanalyste, c'est un contrat qu'on signe. En effet, interrompre les séances, c'est interrompre le contrat et il est fort probable que le psychanalyste vous refuse le divan à votre retour. Il faut persévérer, même si le rythme semble accéléré. La moyenne est d'une séance par semaine. Il est essentiel de noter ici que ce rythme aide l'analysant à ne pas perdre le fil « de son voyage en soi ». Il est vrai que lors d'une séance, l'analyste vous demande de parler de ce qui vous passe par l'esprit, sauf que ce n'est jamais arbitraire. Quand vous pénétrez l'espace réservé à la psychanalyse et que vous vous vous allongez sur le divan, il est essentiel de le considérer comme un espace libre où vous pouvez tout dire. De ce fait, votre inconscient peut lâcher dans des phrases qui vous semblent banales ce qui vous perturbe le plus, ce à quoi vous ne pensez pas d'habitude. La difficulté est justement de s'adapter à l'espace, de détourner ce que votre conscience vous impose comme règles et raisonnement, et surtout de dépasser les inhibitions pour parler librement. C'est une part du travail à faire, mais c'est une partie difficile vu que seulement un seuil nous sépare d'une société qui nous impose des lois pour pénétrer dans un espace qu'on est soudainement censé considérer comme tout à fait libre. Seule l'assiduité peut aider à cela. La confiance qu'on accorde à son analysant est aussi, par ce fait, importante. Ensuite commence le voyage en soi, on embarque vers ses souvenirs. Peu à peu ceux qu'on a totalement oubliés remontent à la surface, cela peut faire mal, mais c'est « un mal pour un bien ». Les rêves et les fantasmes ont également une place primordiale dans la psychanalyse. En les abordant et en essayant de les expliquer, on peut remonter à des sources qu'on n'aurait pas imaginées. Le silence du psychanalyste quand vous essayez d'analyser, peut-être frustrant. Vous avez envie qu'il vous tende la main, qu'il parle à votre place, qu'il vous donne tout simplement la réponse. Sachez que ce n'est pas là le but, c'est à vous et à vous seul de trouver. Dans ce cadre, remonter sa frustration et sa colère par rapport à son analyste est aussi essentiel. On peut d'ailleurs éprouver plusieurs sentiments envers son analysant. Certaines personnes développent des sentiments amoureux, de la haine, se sentant sous son emprise. Certaines personnes passent leur temps à vouloir savoir ce qui se passe dans sa tête ; est-ce qu'il nous juge ? Seulement, il faut savoir qu'en arrivant sur le divan, le jugement de l'autre est la dernière chose à laquelle on devrait penser. D'ailleurs un psychanalyste ne vous juge pas, il vous écoute et vous ramène à votre cheminement quand vous commencez à perdre le repère à cause des tours que pourra vous jouer votre conscience pour vous éloigner de ce dont vous avez peur de découvrir et d'accéder à ce qui est refoulé dans votre inconscient. Parfois on sort du cadre classique du divan pour vivre une séance de « psychodrame ». Ce n'est plus une seule personne à qui vous tournez le dos, mais un groupe d'analysants. Ils vous aident à mettre en scène certaines pensées, traumatismes, rêves. Cela pourrait mettre l'analysant d'une manière violente, mais thérapeutique, face à l'un de ses traumatismes refoulés dans son inconscient… Hajer AJROUDI ------------------------------------------------------- Pr. Rym Ghachem, psychiatre à l'hôpital Razi : « La psychanalyse en Tunisie rencontre beaucoup de résistance » Pour mieux connaître le rapport du Tunisien avec la psychanalyse et avoir un aperçu sur les règles fondamentales universelles de cette discipline nous avons rencontré le Professeur Rym Ghachem, psychiatre à l'hôpital Razi. Le Temps : La psychanalyse, qui vient de l'Occident et qui tire en même temps ses principes de la personnalité de l'individu s'adapte-t-elle aux différentes sociétés ? Le Professeur Rym Ghachem : La psychanalyse garde malgré cela les règles fondamentales universelles comme la neutralité bienveillante, l'attention flottante chez le psychanalyste et la règle de l'association libre chez l'analysant. Ce dernier doit également respecter ses séances. Il s'agit d'un temps que réserve l'analyste à son analysant et il est comptabilisé même si l'analysant n'assiste pas à sa séance. Le cadre en psychanalyse est fondamental : il s'agit d'un espace que l'analysant intègre comme étant son espace où il pourra tout dire sans aucun jugement de l'analyste. La discipline n'a d'autres choix sinon de s'adapter à la société dans laquelle elle est pratiquée. Les signifiants culturels ne sont pas les mêmes et l'analyste devrait connaître les signifiants propres à chaque culture. Qu'en est-il de l'adoption de la psychanalyse en Tunisie ? La discipline rencontre-t-elle une résistance ? La psychanalyse en Tunisie rencontre beaucoup de résistance. Non pas sur le niveau des mentalités qui acceptent la discipline, mais sur le plan de la durée. Les Tunisiens sont en effet très impatients. Ils préfèrent des « remèdes miracles et rapides » alors que dans l'analyse on doit mettre à nu une névrose qui a mis du temps à se construire. Dans ce cadre l'Espace analytique franco-tunisien a organisé récemment une manifestation où le thème de la culture et de la psychanalyse a été soulevé. La psychanalyse peut aussi mettre à jour des vérités que l'analysant n'a pas envie « consciemment » de connaître. La psychanalyse peut changer la vie de l'analysant qui n'a pas parfois les possibilités de le faire. Il faut noter que les gens qui viennent en analyse souffrent. Cette souffrance peut être relative à une enfance difficile, dont la cause remonte à un traumatisme vécu durant l'enfance, elle peut être également liée à une vie professionnelle difficile ou à des difficultés affectives. La psychanalyse va permettre dans la durée de déterminer l'origine de cette souffrance et l'analysant aura la possibilité d'aller au bout de la résolution de ces problèmes. Seulement, en psychanalyse « la guérison vient de surcroît ». Propos recuillis par H.A -------------------------------------------- Le psychodrame pour faire face aux traumatismes Selon le Dictionnaire International de la psychanalyse sous la direction d'Alain de Mijolla, Calmann-Lévy, 2002, le psychodrame est une « Méthode d'investigation des processus psychiques utilisant la mise en œuvre d'une dramatisation au moyen de scénarios improvisés mis en scène et joués par un groupe de participants. ». Ces mises en scène improvisées permettent à l'analysant d'extérioriser des névroses, de « réveiller » des souvenirs qui engendrent d'habitude des comportements, des sensations, voire même des pulsions sans que la personne en connaisse la raison. La mise en scène improvisée le mène inconsciemment à « prendre conscience » des origines de ses maux. En pénétrant dans l'un des pavillons de l'hôpital Razy, où se tient une séance de psychodrame. Nous rencontrons une personne n'ayant pas encore essuyé les larmes coulant de ses yeux. Elle semblait bouleversée. Une fois dans la salle, on trouve un groupe de psychiatres – psychanalystes. Une chaise est disposée sur laquelle s'assoie l'analysant et en face de lui une autre chaise pour le psychanalyste. Un face à face remplace le divan classique du cabinet. Quelques phrases sont échangées, une fois que l'analysant évoque une situation ou un souvenir précis, une mise en scène est aussitôt improvisée. L'analysant choisit les protagonistes qui jouent le rôle d'un juge, un parent, un avocat… Tout personnage nécessaire à la situation évoquée. Sans se rendre compte, la progression de la scène permet au psychanalysant à mettre le doigt sur un point douloureux de sa vie – ce qui explique l'état d'émotion dans lequel l'analysant quitte la scène. Une fois le point atteint, la scène est arrêtée et une discussion commence entre le psychanalyste et le psychanalysé. Elle aide à creuser profondément pour élucider les raisons du mal. Ensuite, l'analysant a la latitude de choisir entre continuer dans le même contexte ou alors évoquer une autre idée.