Par Jawhar CHATTY La rhétorique est une façon poétique d'empêcher la pensée. Cet art du discours est souvent révélateur de la personnalité des amateurs aventureux qui s'y frottent. La rhétorique répond à des règles strictes, et le meilleur moyen de s'y exercer serait de pratiquer et de maîtriser au préalable les figures de style. Idem, pour le pamphlet. L'exercice de ce genre littéraire et...journalistique suppose au préalable une certaine maîtrise des règles de la satire. Dans tous les cas de figure, il est recommandé à l'amateur des styles sinueux, des euphémismes et de la redondance, de ne pas succomber, dans son élan et dans ses envolées lyriques, à la tentation de la facilité qui, bien souvent, croyant bien faire, l'auteur court le risque de banaliser et de tomber dans le piège des vices et des ridicules d'une époque qu'il croyait pourtant moquer. Les mots ont un sens et du sens. Même, et peut-être davantage, dans un semblant de discours rhétorique. Les glissements sémantiques sont dangereux et la pente périlleuse aux seuls dérapages et détournement de la véritable signification des mots. Ce qui s'est récemment passé à la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba est tout simplement criminel. Souiller de la sorte le drapeau national est un acte de trahison suprême. Les mots abject, abominable, et toute la batterie des synonymes inimaginables serait vaine et incapable de qualifier cet acte, et impuissante à traduire la mort dans l'âme qu'a provoqué cet acte chez l'ensemble des Tunisiens. Alors, de grâce, évitons, dans la mesure du possible, les figures de style et la pléthore de qualificatifs, chaque fois qu'il est question de rendre compte ou de commenter des faits gravissimes qui marquent d'ores et déjà au fer blanc notre conscience collective. En Tunisie, les cérémonies de commémoration des martyrs et des condoléances familiales ont ceci de commun : le respect de la mémoire des défunts, l'économie et le choix des mots. Le choix des mots, même avec nos pires ennemis. A défaut de quoi, nous courons le risque de jouer leurs jeux et d'attiser encore plus leur haine des nôtres et ...de notre mère patrie. Un «hideux» drapeau noir a été «dressé» en lieu et place du drapeau tunisien, le temps d'une seconde, une minute, une heure, peu importe, le mal est fait, une éternité pour tous les Tunisiens. Le mot «hideux» est peut-être de trop s'agissant d'un étendard sur lequel est tout de même inscrite la première profession de foi de tout musulman. Cependant, autant nous comprenons et partageons la rage et la colère face à un acte de la plus haute gravité, autant notre amour de la patrie et notre dévouement à elle seule nous invitent à la sérénité et à éviter les sentiers de l'emportement. De quelque couleur qu'elle soit, nulle bannière ne saurait jamais égaler, dans la conscience et dans le cœur des Tunisiens, le drapeau national. Dit avec peu de mots, loin de toute rhétorique, le message a le mérite de l'intransigeance et de la clarté.