Par M.A. BOUHADIBA Depuis quelque temps en Tunisie nous voyons se succéder les nouveaux prédicateurs. Ils sont nombreux et avant d'arriver chez nous, ces gens avaient attiré l'attention de multiples chercheurs qui s'étaient penchés sur ce nouveau phénomène. Des psychologues, des sociologues, des chercheurs en études islamiques et même des professionnels des médias avaient été intrigués par ce succès retentissant. Nous les découvrons et il est naturel que nous nous posions des questions puisque ces personnes parlent à notre jeunesse. En passant en revue ce qui a été écrit sur eux, on constate que ces prêcheurs d'un genre nouveau ne semblent pas s'adresser aux croyants en général mais que leur public est ciblé de façon précise. Ce sont les jeunes de 15 à 25 ans, plutôt de la classe bourgeoise, qui n'ont pas ou peu de connaissances de l'Islam et qui sont à la recherche de repères. La deuxième population ciblée, ce sont les femmes. Ce qui fait leur popularité, c'est un discours résolument nouveau qui tranche avec le discours islamique classique. Ils prônent l'action individuelle alors que le discours classique favorise l'action collective, ils encouragent l'esprit d'initiative alors que le discours classique recommande l'apprentissage, ils poussent les gens à s'enrichir alors que traditionnellement on attachait peu d'importance aux biens matériels. En outre, certains de ces prêcheurs sont bienveillants à l'égard de la mode, pourvu qu'elle soit discrète, du maquillage, pourvu qu'il soit light, et même à l'égard du badinage entre garçons et filles. Cela perturba les traditionalistes au point qu'un imam marocain finit par écrire un livre appellé Le hijab nu. Cet Islam est différent de l'Islam des pauvres qui glorifie l'austérité, méprise les choses matérielles, dédaigne les plaisirs terrestres et se contente de peu dans cette vie ici-bas. Ces prêcheurs gardent une distance respectueuse avec la politique et comme les prêcheurs Taraq Swidan ou Amr Khaledaient, affirment que ce n'est pas leur spécialité, bien qu'ils aient toujours une petite pensée pour la Palestine. Ces nouveaux prêcheurs ont toujours un look soigné, la barbe n'est pas de rigueur et ils s'habillent souvent en costume et cravate pour s'identifier plus facilement à la jeunesse à laquelle ils s'adressent. Ils n'hésitent pas à fréquenter les beaux quartiers et donnent leurs conférences dans des hôtels de luxe ou de grandes salles pour être au plus près de leurs admirateurs. Ils fréquentent les stars et les hommes politiques, ce qui augmente leur notoriété. Le moyen de prédilection pour séduire les foules c'est la télévision et leur succès a été parallèle à la floraison des chaînes satellitaires. Ils ont très vite dominé les techniques de l'audiovisuel et le body langage qui les accompagne. Ils savent donner à leur visage l'expression de la piété, de l'espoir, du bonheur et contrôlent parfaitement l'art de la voix brisée et du sanglot. Ils exigent la présence de spectateurs sur le plateau pour que la caméra montre leurs visages impressionnés afin d'augmenter l'émotion du téléspectateur. Bref, il y a tous les ingrédients du media show. La professionnalisation a atteint un tel degré qu'un homme d'affaires du nom de Fadhel Slimane a créé en Egypte une école de prédication télévisuelle appelée Joussour, basée sur les principes du marketing. Ces prêcheurs sont de différentes tendances, salafi, sufi, tabligh, ikhwan, mais leur succès s'explique parce que ce nouvel Islam est proche des problèmes des gens. Il traite de problèmes sociaux et psychologiques, des sujets qui touchent les jeunes comme le chômage, l'amélioration des capacités individuelles, la construction d'un projet, la créativité, l'informatique, les addictions, les young leaders ... Ils insistent sur les sentiments et l'initiative plutôt que sur l'apprentissage du haram, halal ou du maarouf et du munkor. Beaucoup de ces prêcheurs sont des ingénieurs, des économistes, des médecins, mais on leur reproche d'avoir des connaissances islamiques limitées et pour la plupart pas de grands diplômes des écoles charaïques. Ces prêcheurs mal qualifiés ont semble-t-il porté préjudice aux cheikhs traditionnels à tel point que les cheikhs de la mosquée El Azhar au Caire s'en sont plaint au ministre des Awkafs et ont exigé d'avoir un programme sur la télévision d'Etat pour, disaient-ils, «restaurer la bonne parole et réparer les dégâts». Le discours de ces prêcheurs fut à un moment donné si controversé que cela poussa la Ligue des droits de l'Homme égyptienne à créer une commission d'enquête dirigée par Mme Zeïneb Radhouane. Il y a en effet plusieurs questions qui se posent. Il faut savoir que tout a commencé dans les années 80-90 lorsqu'un groupe de jeunes islamistes venus du Moyen-Orient alla étudier le management aux USA. Des gens comme Tareq Swidan, Ahmed Rached, Nejib Rifai aujourd'hui célèbres furent, lorsqu'ils étaient là bas impressionnés par deux personnes qui avaient lié la religion avec les méthodes de management, c'étaient deux pasteurs protestants du nom de Dale Carnegie et Norman Pearl. Ceux-ci enseignaient comment lier connaissance, comment convaincre les gens, comment les mobiliser, comment attirer les gens vers un projet, comment construire un projet etc. Partant d'une logique simpliste, nos jeunes islamistes adoptèrent ce message après avoir décidé que tout ce qui n'était pas condamné par l'islam était donc islamique, Ils peaufinèrent leur théorie en disant que l'Islam ne doit pas être une partie de la globalisation mais englober la globalisation, se donnant ainsi le droit de puiser dans les autre cultures à leur profit. L'influence protestante ne devait pas s'arrêter là, puisque le chercheur suisse Patrick Haney du Centre international de gestion de crise, trouva une concordance mot pour mot d'un discours de Amr Khaled, avec un sermon protestant du 19e siècle. Le même Khaled fut accusé par Fouad Said du Centre de recherche sociale du Caire de copier les prêches, du pasteur copte Samah Morris. Un autre prêcheur, l'Indonésien Abdallah Jimnistiar, le seul au monde dont les émissions télé sont vues par plus de 60 millions de téléspectateurs, avoua aux journalistes qu'il avait pour conseiller un pasteur évangéliste. Plus troublant encore, c'est un rapport du Centre indépendant d'études et de recherches islamiques Al Mesbar basé à Dubaï, paru en 2010, qui parle d'une influence des idées de l'Eglise de scientologie sur quelques-uns de ces prêcheurs. Ceci n'est pas impossible au vu du prosélytisme agressif de cette église. Ainsi on voit les livres de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie, largement diffusés dans les pays du Golfe. D'autre part, sous couvert de l'Association Able pour l'enseignement, on a vu Mme Joan Zeinstein ,membre éminent de la scientologie, distribuer aux enfants palestiniens 40.000 livres. Elle avait même réussi à convaincre Mme Zeineb Habash du ministère palestinien de l'Education d'inscrire un livre de Hubbard dans le cursus scolaire, créant par là un immense scandale. Enfin, il n'y a qu'à aller sur le site officiel de la scientologie pour voir, que cette église affirme une présence active dans 5 pays arabes: le Maroc, l'Algérie, l'Egypte, le Liban et, incroyable mais vrai, l'Arabie Saoudite. Nous devons être prudents et veiller à préserver notre jeunesse. Il faut écouter nos imams zitouniens lorsque lors de la prêche du vendredi l'un d'eux dit: «La douane contrôle la conformité des yaourts importés,la Pharmacie centrale contrôle la conformité des médicaments importés, il est normal que les imams tunisiens contrôlent la conformité du discours de ces nouveaux prêcheurs avant de les laisser monter sur les minbars de nos mosquées».