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Isaïe, ou le paradoxe du Messie
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 03 - 2012

Il faut sans doute compter parmi les curiosités de l'histoire du monothéisme le fait que le Coran n'évoque pas cette figure centrale, aussi bien du judaïsme que du christianisme, qu'est le prophète Isaïe. Sans doute, la liste des personnages retenus dans le texte coranique est-elle loin de couvrir l'ensemble des prophètes et autres protagonistes de l'épopée biblique. Tel n'est d'ailleurs pas le propos du texte musulman de faire une quelconque recension en cette matière.
Toutefois, l'absence ne manque pas d'étonner ici. Car Isaïe est au cœur de ce que l'on appelle le messianisme juif, ou, du moins, une de ses deux versions : non pas celle qui tend à faire du Messie un puissant de ce monde, un roi qui redonnerait au peuple juif les moyens de la domination sur ses voisins et dans le monde après une longue histoire marquée par l'exil et la soumission, mais celle au contraire, plus difficile à penser, du serviteur docile : « Voici mon serviteur que je soutiens // mon élu en qui mon âme se complaît. // J'ai mis sur lui mon esprit, // il présentera aux nations le droit. // Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, // il ne fait pas entendre sa voix dans la rue... » Ainsi parle la prophétie au chapitre 42 du livre d'Isaïe. Bien entendu, c'est à travers cette seconde version que le christianisme trouve un ancrage dans la tradition juive et une justification aussi face à ceux qui, parmi les tenants de cette tradition, contestent la mission de Jésus et sa « royauté ».
Toutefois, il faudrait se garder de tout schématisme excessif. Le même Isaïe qui évoque l'image du serviteur, qui abonde même dans ce sens au chapitre 53 en présentant le serviteur comme étant « objet de mépris, abandonné des hommes // homme de douleur, familier de la souffrance... », déclare aussi, peu de temps avant : « Voici que mon serviteur prospérera, // il grandira, s'élèvera, sera placé très haut. // De même que des multitudes avaient été saisies d'épouvante à sa vue, // - car il n'avait plus figure humaine, // et son apparence n'était plus celle d'un homme - // de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction, // devant lui des rois resteront bouche close, // pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté, // pour avoir appris ce qu'ils n'avaient pas entendu dire... » Voilà donc un serviteur, objet de mépris, mais devant qui les rois eux-mêmes restent bouche close et les nations sont dans la stupéfaction !
Hypothèses critiques...
Le thème du messianisme n'est pas en soi ce qui justifierait la présence du prophète Isaïe dans le texte coranique, mais c'est plutôt l'importance centrale que lui confère ce thème dans l'histoire du monothéisme qui rend son absence assez inexplicable. D'autant que, dans maints passages de son livre, la tonalité du propos présente comme une résonance étrange avec le Coran : « Ils reculeront, ils rougiront de honte, // ceux qui se fient aux idoles, // qui disent à des statues : vous êtes des dieux. » Isaïe s'en prend, non sans une note d'humour, à ceux qui adorent des idoles qu'ils ont eux-mêmes fabriquées : « Chacun aide son compagnon, // il dit à l'autre « courage ! » // L'artisan donne courage à l'orfèvre, // et celui qui polit au marteau à celui qui bat l'enclume : // il dit de la soudure : « Elle est bonne », // il la renforce avec des clous pour qu'elle ne vacille pas. » On sait que ce thème est très présent dans le Coran, à savoir celui de l'aberration que constitue l'adoration d'un dieu qui se réduit à un objet fabriqué de ses propres mains. Ailleurs, Isaïe utilise l'image de celui qui coupe un pin qu'il a planté et dont il utilise une partie du bois pour griller de la viande, tandis qu'il réserve l'autre pour se faire une idole qu'il pourra adorer, sans doute le ventre plein...
Une explication polémique, puisant dans une approche historico-critique des religions, pourrait suggérer ici que l'opération de composition du texte du Coran à partir des fragments épars dans la période qui a suivi la mort du Prophète, et en particulier à l'époque du troisième Calife, Uthman, aurait pu éliminer les allusions à Isaïe dans la mesure où sa description du Messie tend à conforter une position chrétienne qui consiste justement à se prévaloir d'une annonce ancienne : «Jésus a été prédit et sa vie répond à des descriptions contenues dans les livres, mais vous, votre prophète... », s'entendaient dire les Musulmans. On sait que ces querelles religieuses ont assez tôt fait leur apparition autour de cette question de la légitimité par les prophéties et que cela, selon le jugement des premiers savants musulmans, pouvait être considéré comme un facteur de fragilisation de la position musulmane. En ce moment de son essor où l'islam avait déjà étendu sa domination sur de vastes domaines autrefois sous autorité byzantine, la consolidation de la foi islamique parmi les populations comportait des enjeux politiques et relevait même d'une logique de l'urgence. Ce qui pouvait autoriser des mesures, disons... « hardies » !
De l'accomplissement à la dépossession
Bien sûr, le présupposé – théologique – selon lequel le texte coranique est inaltéré n'est pas pris en compte ici et c'est en quelque sorte la particularité de cette approche critique de ne pas y voir un obstacle. Il reste que cette hypothèse, qui a l'audace de son côté, et peut-être aussi une part d'hostilité à l'égard de l'islam, n'est pas pour autant parole d'évangile... ou parole coranique ! De toute façon, elle n'est pas la seule possible : une autre, qui ne prétend pas puiser son autorité dans la rigueur de la science, mais qui n'en est pas dépourvue pour autant, consiste à dire la chose suivante : toute présence n'est pas nommée.
C'est vrai que, à la différence de Moïse, de David et Salomon, de Jonas et d'autres figures bibliques, le nom d'Isaïe n'est pas évoqué. Mais cette présence peut être cachée, de la même façon que l'on parle d'un sens caché. Peut-être d'ailleurs cette présence cachée rejoint-elle, justement, un sens caché qui transcende les querelles de légitimité entre les différentes traditions... Une telle hypothèse n'est pas non plus parole d'évangile, mais elle a l'avantage d'ouvrir des perspectives que nous ne pouvons pas ignorer.
Ces perspectives disent que l'islam est entièrement pris dans le messianisme d'Isaïe, malgré une sorte d'empêchement apparent. Et que c'est parce qu'il entretient une relation de sympathie qui le traverse de part en part avec ce messianisme que la présence d'Isaïe, en tant que personnage, ne saurait occuper une part identifiable, une région du texte à l'exclusion d'une autre... Expliquons-nous. Et tout d'abord, précisons ce que nous voulons dire par « empêchement ». Isaïe est un prophète juif et c'est pour le peuple juif qu'il prophétise... Entre parenthèses, derrière ce nom d'Isaïe se cache en réalité trois personnages distincts, dont les textes ont été mêlés en un même livre.
Nous parlons de celui qu'il est convenu d'appeler le « Second Isaïe » et dont les prophéties se situent entre les chapitres 40 et 55 du livre qui porte son nom. C'est donc cet Isaïe-là qui se fait pour le peuple juif l'écho d'une parole de consolation et d'amour : « Ne crains pas car je suis avec toi, // ne te laisse pas émouvoir car je suis ton Dieu ; // je t'ai fortifié et je t'ai aidé, je t'ai soutenu de ma droite justicière. » Ailleurs, Isaïe utilise l'expression : « Le peuple que je me suis formé »... Un peuple contre qui Dieu, ou Yahvé, ne ménage pas sa colère quand Il est délaissé – «J'ai livré Jacob à l'anathème // et Israël aux outrages » - mais un peuple qui reste le peuple témoin et, par conséquent, un peuple dont le «serviteur» attendu ne saurait être issu d'ailleurs que de ses rangs... Même si les Arabes sont aussi dépositaires d'une promesse à travers Ismaël, cela ne saurait les mettre en position de déposséder les Juifs de ce privilège qui leur est accordé en qualité de peuple-témoin. Tel est donc l'empêchement ! Toute la difficulté, cependant, est qu'à travers cette figure du « serviteur », il se passe dans l'histoire de la promesse quelque chose de paradoxal qui relève à la fois de l'accomplissement et de la dépossession. Ce «serviteur» est «lumière des nations» : il est ce qui appartient le plus au peuple juif et, déjà, ce qui ne lui appartient plus tout à fait, qui appartient au monde, tout comme le soleil qui éclaire le monde ne saurait être celui d'un peuple particulier...
Le messianisme : histoire d'un partage
Mais cela, dirait-on, caractérise l'expérience chrétienne du Messie. Jésus est certes contesté par les Juifs en tant que Messie, toutefois il a la caractéristique d'être juif et, si l'on en croit l'évangéliste saint Mathieu, il est même descendant de David. Le prophète Mohammed ne saurait se prévaloir d'une telle généalogie et ne cherche d'ailleurs pas à le faire. De plus, ajouterait-on, si Jésus qui est juif n'a pas été jugé par tous comme répondant à tous les critères du Messie, comment un non juif pourrait-il y satisfaire ? Comment le pourrait-il sans risquer de se retrouver dans le rôle de l'usurpateur ?
Toute dépossession est une perte, une douloureuse perte, mais toute dépossession nomme et inaugure une autre façon de posséder. Il y a des moments dans l'histoire des individus comme dans celle des nations où la dépossession s'emballe : elle fait irruption avec violence, sous le signe de la dévastation. Et pourtant, au-delà de la déchirure et du drame, la vérité de cette dépossession est une repossession, plus large et plus profonde.
Le surgissement de la mission du Prophète de l'islam, qui peut être vue comme la simple réponse à une injonction divine, se prête également à une approche qui y voit un acte de dépossession dont la tradition juive est l'objet : non pas seulement, comme avec le christianisme, dépossession à partir de la tradition propre et de ses prophéties annonciatrices, mais dépossession à travers l'apparition soudaine d'une nouvelle tradition, distincte, qui se présente du point de vue du peuple-témoin comme une épreuve de pur et simple arrachement de la promesse.
De fait, le Coran est un texte qui ne manque pas d'une certaine violence à l'égard du peuple juif. Ce qui ne va pas sans embarrasser les Musulmans modérés et ce qui, à l'inverse, fait le bonheur morbide de tous les amateurs de jihad... Mais ce que ne voient ni les uns ni les autres, c'est que cette violence contre le peuple juif n'est en réalité que l'envers d'une entreprise où il s'agit de travailler à offrir à ce peuple les conditions d'une repossession de sa propre tradition, à travers l'épreuve de la dépossession.
Ce qui peut apparaître d'abord comme une usurpation se révèle être, secrètement, une forte restitution, avec la profondeur en prime. Mais le raidissement des positions, de part et d'autre, et la mobilisation de l'appareil théologique dans une attitude de guerre défensive empêche de saisir cela... Rappelons seulement que l'accomplissement d'une mission religieuse à l'intérieur de la tradition monothéiste n'est jamais isolé : alors même que cette mission se croit entièrement vouée à elle-même, et a raison en un sens de le croire, elle joue dans le même temps un rôle essentiel dans l'économie générale du monothéisme, en poussant les autres missions à aller au-devant de leur propre destin...
L'arrachement représente ici une des figures par laquelle, paradoxalement, le messianisme juif s'accomplit : il s'accomplit selon un double mode. D'abord à travers la migration du «droit», dans le sens messianique du terme, (« Il [le serviteur] présentera aux nations le droit »), vers une autre tradition et, ensuite, par l'épreuve de la dépossession à la faveur de laquelle il est donné, sans quitter l'univers de sa tradition, de conférer à sa propre possession une amplitude plus grande : une amplitude telle que la mission du droit dans la tradition étrangère ne se présente plus dans un rapport de pure discontinuité au regard de sa mission propre, mais au contraire dans un rapport de « sous-traitance »... Ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, les représentants de l'autre tradition de pouvoir développer le même point de vue, en ce sens que chacun devient pour l'autre un « sous-traitant »...
Essaimage, donc, et reconquête à partir de l'expérience de la perte ! Isaïe ne parlait-il pas déjà de Cyrus comme d'un oint (messih) de Yahvé : Cyrus, le roi perse !? L'histoire du messianisme est celle de son partage...


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