Par Hamma HANACHI Réalisateur allemand, francophile, Volker Schlöndorff a derrière lui une filmographie riche en adaptations d'œuvres littéraires, Le tambour (Palme d'Or à Cannes 1979) de Günter Grass, Un amour de Swann de Proust, Le roi des Aulnes de Michel Tournier, L'honneur perdu de Katharina Blum d'Heinrich Böll, etc. Des films qui mettent la littérature en images et la prose en illustration. La chaîne franco-allemande Arte lui a consacré une soirée hommage le 23 mars, sa dernière œuvre La mer à l'aube (Rediffusion dimanche 8 avril), inspirée du roman éponyme écrit par lui-même, retrace une période tragique de la résistance française. Un téléfilm sur les heures qui ont précédé l'exécution du jeune résistant Guy Môquet, dix-sept ans, et ses camarades fusillés par les Allemands dans le camp de Choiseul en octobre 1941. C'est le premier film réalisé par un cinéaste allemand sur l'occupation, il a été récompensé par un Fipa d'or à Biarritz pour Léo Paul Salmain, dans le rôle du jeune héros, autant dire un événement télévisuel. Un téléfilm d'histoire «lyrique» qui se soumet aux règles du genre, la peur de la mort, le courage, les moments poignants, des sentiments, lourds par moments, les doutes et incertitudes, la tension menée jusqu'à son bout et la fin tragique, forcément attendue. La fiche technique nous apprend que le titre est extrait d'un beau vers «Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube » de Paul Nizan, poète résistant, mort dans un camp de concentration, et que le film est une adaptation tirée d'un récit d'Heinrich Böll et surtout des notes d'Ernst Jünger (1895-1998). Sur ordre de son général, celui-ci consigne dans ses carnets heure par heure, le cours des événements qui suivirent la condamnation et l'exécution des résistants. Jünger a brûlé le rapport en 1944, mais une copie retrouvée a servi de source au scénario de Schlöndorff. Le film démarre sur un air de chronique de guerre et s'achève dans une extrême douleur. Ce qui a piqué notre curiosité c'est la présence de Jünger dans le film, officier allemand et figure intellectuelle majeure, écrivain et philosophe de renom qui a traversé le siècle et participé aux deux guerres mondiales. Dans La mer à l'aube, on le découvre, élancé, élégant dans son uniforme dont il «a tant aimé l'éclat», amant aux regards déterminés et aux mâchoires taillées à la serpe. Sous l'occupation, entre 1941 et 1944 à Paris, Jünger fréquente les femmes, les endroits chics de la ville et se consacre à la vie militaire, la lecture de la Bible et les prises de notes : «Il prend des notes mais ça n'est pas un esthète, c'est un écrivain dans la tourmente», écrit Hédi Kaddour (Les pierres qui montent-Gallimard). Jünger est un grand styliste qui détaille les moindres faits, un observateur d'une précision radicale, commente Kaddour, qui cite ce croquis à propos du charnier du début des combats de 14 : «Des lambeaux sanglants d'uniformes et de chair pendaient aux broussailles, autour du point d'impact, spectacle bizarre, étouffant; il me fit penser à la pie grièche, qui embroche ses proies sur des épines». Cette pie a posé une énigme pour nous, on connaissait La pie voleuse de Rossini, musique gaie au départ, flottante et légère comme un oiseau en liberté, la pie bavarde, familière, inoffensive, qui jacasse, jaspine et palabre sans conséquences fâcheuses, mais on est loin d'en imaginer une, qui embroche ses proies, cela nous apparaissait cruel, sauvage comme si elle appartenait à une autre espèce. Souvenir. Il y a deux ans à Djerba, en résidence chez H.C, un endroit tranquille, espace d'art, loin des agglomérations, où le silence s'écoute sans ennui. Au matin, on est réveillé par le chant des oiseaux, plutôt des voix en chamaille, graves, changeantes, insaisissables. Ces volatiles, apprend-on, assimilent et imitent le ramage de leurs congénères pour leurrer leurs prédateurs et leurs proies, au dehors, on découvre ces visiteurs au plumage gris, queue blanche et noire, un large bandeau noir autour des yeux. Curiosité ! Entre palmiers et oliviers, des scorpions empalés sur la pointe des aloès, plus loin, c'est des petits lézards, des larves, et des grandes fourmis au sommet des épines. Un charnier qui se renouvelle, un spectacle étrange. Dans la région, à chaque fois que cet oiseau se pose sur un toit, les gens disent qu'il y a un visiteur ou une bonne nouvelle qui arrive, on l'appelle Bou Bachir.