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« Les décrets-lois 115 et 116 risquent de bloquer la liberté d'expression » Colloque international — Médias publics arabes et transitions démocratiques
La première séance du colloque international organisé par l'Institut de presse et des sciences de l'information (Ipsi),en collaboration avec la fondation Conrad-Adenauer-Stiftung s'est déroulée, hier, dans un hôtel de la banlieue nord de Tunis en présence de bon nombre de journalistes et d'experts tunisiens et étrangers. Cette séance a permis de revenir sur l'actualité et les rouages du secteur médiatique national avant et après la révolution du 14 janvier. M. Mohamed Hemdane, professeur universitaire à l'Ipsi, a ouvert le débat par une analyse préliminaire de la réforme du secteur à la lumière des décrets-lois 115 et 116. L'intervenant pense en effet que ces deux décrets-lois semblent être plus répressifs que les lois imposées par le régime déchu: «Ces deux textes risquent de bloquer la liberté d'expression vu qu'ils prévoient des peines sévères contre les journalistes et cela constitue des contraintes beaucoup plus pesantes que celles d'autrefois», a-t-il indiqué. Dans la même optique, M.Hemdane fait remarquer que la loi devient ainsi un moyen pour légitimer la répression comme c'était le cas avec le dictateur. D'où la nécessité de réfléchir sur ces deux décrets-lois afin de les mieux adapter à l'actualité et aux spécificités de la scène sociopolitique nationale. De ce point de vue, il précise que les mêmes lois adoptées autrefois pour contrôler les médias et restreindre leur marge de manœuvre sont les mêmes que celles qui permettent aujourd'hui à d'autres journaux et radios de voir le jour. Ce qui présente en soi un paradoxe vivant et une sorte de renoncement à la régulation convoitée. « Le décret-loi 115 permet de substituer l'homme politique par l'homme d'affaires, constituant ainsi une franche menace à la qualité du contenu dans la mesure où le côté commercial prime sur le côté informatif et cognitif. C'est ainsi dire également que les médias publics jouent un rôle primordial dans la production d'un discours médiatique aussi informatif qu'éducatif et que toute tentative de privatisation ne serait qu'«une sorte d'assassinat pour une démocratie naissante». Présentant une intervention intitulée «Médias et transitions démocratiques: l'indépendance des médias est-elle un concept à géométrie et à géographie variables? », Dr Ndiaga Loum de l'université du Québec avance que le conflit entre pouvoir politique et médias est une donnée permanente et stricte dans le temps. Autrement dit, comme il l'a laissé entendre, la problématique du contrôle des médias publics est consubstantielle à tout pouvoir politique et aucun pays dans le monde ne semble suffisamment avancé. M. Loum pense, en outre, que le pouvoir politique justifie l'embrigadement qu'il pratique aux médias publics par le fait qu'ils sont l'accompagnateur du développement dont il est l'artisan. A ce stade de son intervention, l'intervenant se réfère au sociologue et économiste allemand Max Weber pour dire après lui que « le journaliste est un simple homme politique si ce n'est un démagogue auquel le principe d'objectivité ne peut être appliqué ». L'universitaire canadien donne à lire également que le statut du journaliste diffère d'un pays à l'autre en fonction de l'environnement civilisationnel auquel il appartient. Toutefois, les garants de l'impartialité et de l'objectivité de son exercice semblent être les mêmes ici et là, en Afrique comme en Europe: le degré de conscience de la société civile et les institutions y afférentes. Il note, également, que les relations entre la presse et le pouvoir politique en place demeurent fragiles dans la mesure où chacun se bat pour légitimer sa fonction. Prenant le cas de la Tunisie, il observe que tout comme le pouvoir politique est en totale recomposition, les médias le sont aussi. Sauf que l'enjeu, tout l'enjeu bien évidemment,est de savoir si les quêteurs-opprimés d'autrefois d'une liberté ravie par ses ennemis pourraient être ses garants et protecteurs une fois se trouvant au pouvoir. « Ce pouvoir qui aveugle», a-t-il ajouté. « Quels médias publics voudrions-nous? » est le titre de l'intervention de Dr Noureddine Miladi de l'Université de Northampton en Grande-Bretagne. L'intervenant, qui a choisi de présenter sa contribution en anglais, s'est référé à la chaîne britannique BBC pour tracer les contours d'une éthique et d'une déontologie rigoureusement respectées dès qu'il s'agit d'une couverture à l'intérieur du Royaume-Uni. Cela, pour dire que les Anglais croient fermement au pouvoir et au rôle déterminant des médias, dès lors qu'ils opèrent en toute neutralité, dans l'instauration et la préservation de la démocratie. «Cette chaîne privilégiant la diversité et la pluralité diffuse en différentes langues, n'exclut aucun dialecte et est accessible à tous les habitants du Royaume. Et la télévision tunisienne est, à son tour, appelée à mieux gérer sa programmation en travaillant l'aspect éducatif de sa matière proposée», explique-t-il.