Par Abdelhamid GMATI Tout le monde continue à parler. Malgré les tentatives de faire taire certains par des mots, d'autres par des actes. Les constituants, les membres du gouvernement, les représentants de partis, les adhérents à des associations, les indépendants, les syndicats, les travailleurs, les chômeurs, les mères de famille, les riches, les pauvres, les blessés, les bien portants, ceux qui n'ont rien à dire, et les étrangers, invités ou accueillis, tous parlent. Et même ceux qui veulent faire taire ne cessent de parler. D'ailleurs, le plus souvent, on n'entend qu'eux. Qu'expriment ils ? Quelle relation entre leurs paroles et leurs pensées ? Et ces paroles sont-elles conformes aux actes ? Et quelles implications ont ces paroles ? Il ne faut pas perdre de vue que les paroles ne peuvent pas être «en l'air» : elles impliquent et responsabilisent leurs auteurs, nécessairement et obligatoirement. Certains prétendront que «ma parole a dépassé ma pensée»; d'autres affirmeront qu'ils ont été «mal interprétés» ou «mal cités», ou que c'était «hors contexte». Il est intéressant de rappeler quelques actions, quelques déclarations, quelques paroles, qui sont proférées, ces temps-ci, et diffusées (grâce à ces médias si décriés). Une sorte «d'instantané» de ce qui se passe ces jours-ci. – «C'est un grand jour pour l'Islam en Tunisie et un grand jour pour la Révolution... Il a eu un rôle immense au service de cette Révolution. Il a exhorté et appelé à cette Révolution. Il n'est pas seulement le cheikh des ulémas, mais aussi celui des révolutionnaires». C'est en ces termes que Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, a accueilli son hôte le cheikh Youssef Qaradhaoui, dirigeant de l'Union mondiale des ulémas musulmans, jeudi dernier. Les Tunisiens ont apprécié et sur les réseaux sociaux, les internautes ont rappelé les déclarations de ce cheikh faisant l'éloge de l'ex-Président Ben Ali. Le cheikh a répondu être honoré d'être en Tunisie, «se sentant Tunisien, Libyen, Yéménite, Egyptien». Au meeting organisé pour lui à Radès, Qaradhaoui a parlé de l'«établissement d'un Etat islamique en Tunisie», affirmant qu'«il n'y a aucune contradiction entre l'Islam et la démocratie... La consécration de la liberté passe avant l'application de la charia... L'essence de la démocratie est que les gens prennent en charge leurs affaires et que l'on ne leur impose pas un chef». – A la conférence organisée à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le Premier ministre Hamadi Jebali a affirmé : «Il n'y a pas de démocratie sans liberté (...) La liberté de la presse est un acquis qu'il faut garder pour réussir la transition démocratique... Nous nous engageons à garder un média public et indépendant». A la même conférence, la Yéménite Tawakol Karaman, lauréate du Prix Nobel de la Paix 2011, a déclaré «être très honorée d'être en Tunisie, pays où la jeunesse s'est soulevée pour un Etat civil et démocratique... La liberté de la presse, ce n'est un cadeau de personne, nous l'avons arrachée et nous la méritons». Entonnant notre hymne national, elle a souligné : «C'est l'hymne de la liberté, l'hymne qu'on a chanté dans nos rues arabes». – Vendredi, à Nabeul, il y avait du mécontentement : dès le matin, la ville était «quadrillée» par un impressionnant dispositif sécuritaire avec barrages, rues fermées etc. La cause ? La visite effectuée par le président de la République. La grogne des commerçants n'était pas générale et M. Marzouki a été reçu correctement par les habitants. Une dame lui a même donné un baiser sur la tête. – La Confédération générale tunisienne du travail accuse, dans un communiqué, des syndicalistes apparentés à l'Ugtt d'être derrière les agressions verbales et physiques commises et les insultes proférées, jeudi 3 mai, en marge du sit-in de protestation organisé par les travailleurs de la Société nationale de transport urbain et interurbain (Sntri). – Hamma Hammami, du Parti communiste ouvrier tunisien (Pcot), a dénoncé, au cours d'une conférence de presse tenue vendredi, «la politique de deux poids/ deux mesures pratiquée par l'administration judiciaire...Le ministère public réagit au quart de tour dans les histoires impliquant les modernistes mais devient compréhensif lorsqu'il s'agit des salafistes». Il réagissait à l'attaque menée par des inconnus contre le local de son parti à El Kabaria. – «Certains députés ont voté deux fois, et d'autres jusqu'à trois fois. Je les ai vus de mes propres yeux, et je pourrais même vous donner leurs noms». C'est ce qu'a déclaré le député du CPR (faction Ayadi), Azad Badi, qui dénonçait des tricheries à la Constituante lors de la séance plénière de jeudi 3 mai. Son collègue d'Ennahdha, Sahbi Atig, confirmait : «J'ai honte d'en parler. Hier on était 120 députés, or on aura compté 170 voix. Est-ce normal que les uns trichent, et que les autres copient sur leurs collègues ?». – M. Dimassi, ministre des Finances, a appelé son collègue ministre des Droits de l'Homme, «Samir Dilou». Etonnement de l'intéressé, vite apaisé par le président de l'Assemblée, M. Ben Jaâfar : «Ne vous en faites pas, Si Dimassi revient d'un voyage à Washington». Ainsi va le quotidien dans notre vie publique. Des paroles et des actes, il y en a eu beaucoup d'autres. Et il y en aura encore. De quoi rire et ...pleurer. Et à ne pas oublier.