La situation est désolante, choquante même:«Menzel Témime est devenue une ville sans âme», se plaint un habitant dela ville. Située à 50 km de Nabeul et à 90 km de Tunis, elle est considérée comme l'une des plus importantes agglomérations du Cap Bon. Pourtant, en se promenant à travers ses rues, poussiéreuses et sales, on a du mal à estimer sa valeur. Cette ville, aux mille et une «crevasses» et nids de poule, comme ont dit certains, semble revenir à un état « rural ». Le revêtement routier s'effrite visiblement et les matériaux de remblais se dispersent, presque à chaque rue. La circulation est insupportable, quasi impossible à la proximité des deux grands marchés de la ville. « C'est un nouveau phénomène qui a, tout de suite, marqué la ville après la révolution », s'indigne encore un marchand. En face du marché principal, les vendeurs ambulants de légumes , sans autorisations municipales, et qui n'ont pas été chassés, comme toujours, dès leur installation, ont transformé, rapidement, leurs espaces en étals improvisés, dominant toutes les chaussées... Une situation qui a fini par agacer plusieurs marchands , en règle, et qui se sont installés depuis longtemps dans un marché à la proximité de la ville, aménagé depuis une dizaine d'années. D'ailleurs, ces mêmes marchands se sont trouvés dans l'obligation, concurrence oblige, de se mettre, avec les « intrus », aux alentours des marchés, pour écouler leurs produits (il est impossible de confirmer cette version des faits, surtout que le maire de la ville, après avoir promis de répondre aux questions, s'est inscrit aux abonnés absents). Résultat : encombrement suffocant...justement, sur une artère principale (l'avenue Mahmoud Zhioua) qui débouche sur la zone industrielle et agricole de la ville. Les conducteurs ont du mal à se faufiler à travers les acheteurs distraits, beaucoup plus occupés à remplir leurs couffins qu'à céder le passage aux véhicules. Il faut reconnaître que le trafic routier est d'ailleurs très important puisque dans cet espace anarchique, est aménagée une station de taxi. Un peu plus loin, un espace est réservé au transport rural alors qu' au coin de la rue, ou retrouve une station de bus et de « louages ».... Pis encore, au cœur de cet endroit, tout près de l'oued qui traverse la ville, un « espace de loisir pour familles », sous forme d'un petit carré de sol dallé, conçu au départ pour être un jardin ! Il est vrai justement que dans cette localité, aucun jardin n'est estimé à sa juste valeur. Bien au contraire, la verdure se réduit de plus en plus, cédant la place au béton. Et pourtant, Menzel Témime se veut une ville verte. «On a confié les espaces verts aux patrons des cafés pour assurer la maintenance. Une erreur lamentable. Les chaises ont, à la longue, abîmé le sol», regrette un habitant de la ville. Belle, malgré tout Pourtant, la beauté de cette ville est certaine. Placée entre deux collines, merveilleusement tapissées d'eucalyptus et d'autres faunes et flores très variées, elle paraît toujours majestueuse. Sidi Salem abrite les vestiges de la nécropole punique portant son nom. « Un site curieux et mythique », selon l'historien Jalloul Azouna. Au pied de cette colline, s'ouvre la grotte El Htak (Gar El Htak), aujourd'hui fermée au public. Il s'agit d'une réserve naturelle pour une espèce de chauve-souris en voie de disparition et qui a longtemps alimenté l'imaginaire populaire de légendes incroyables. En face d'elle, se dresse sa jumelle, la colline de Sidi Ben Salmène, qui sert aujourd'hui de cimetière. Au sommet de ces hauteurs, le paysage reste magnifique. On admire d'un côté la ville dont le périmètre municipal couvre une superficie de 25.000 hectares, et de l'autre, la plage blanche avec ses étendues de sable fin, éblouissantes au lever du soleil ... Entre les collines et la plage, s'étendent les terres agricoles, aux parfums chatouillants. Malheureusement, après la révolution, les briques de construction ont fini par « submerger » ces terrains. De nouveaux bâtiments ont pris justement des dimensions imposantes. Les lots, face à la mer, n'ont pas même été épargnés. Les nouvelles villas de plusieurs étages défigurent déjà une architecture caractérisée par les toits en coupoles. Un réel gâchis ! Une vocation culturelle... Une situation préoccupante surtout que malgré l'élargissement de ce tissu urbain, la ville attend toujours le gaz naturel et les service de l'Onas. « J'ai réellement peur pour notre plage. Non seulement, elle est défigurée, mais, sans une étude sérieuse, elle pourrait être définitivement polluée», s'inquiète un habitant. Menzel Témime est cette cité antique disparue, rayée de la carte à la suite des invasions aux IIIe et IVe siècles av. J. C. Elle a pu renaître de ses cendres au XIIIe siècle comme base de la lutte contre l'occupation normande. Mais la ville ne connaîtra sa véritable expansion qu'à partir du XVIIIe siècle avec les M'aouine, promoteurs de l'enseignement gratuit dans la région. Ainsi, Menzel Témime, bastion du nationalisme et du savoir, poursuivra cette même destinée au milieu du XXe siècle. La ville jouera ainsi un rôle de premier plan dans la lutte pour l'indépendance de la Tunisie, surtout par l'appel qu'elle a lancé pour la tenue du premier congrès du Néo-Destour en 1934 et la constitution de la première cellule néo-destourienne du Cap Bon. Elle est devenue ainsi un fief de connaissance à l'instar d'autres villes de la région, à savoir Kélibia, Nabeul et surtout Béni Khiar. Cette ville a vu défiler des savants et nombreux cheikhs de la Zitouna. En effet, donnant l'asile à quelques familles andalouses chassées d'Espagne en 1609, elle a constitué un foyer de conservation du patrimoine musical andalou, le malouf. La tradition musicale s'est perpétuée jusqu'à nos jours avec le grand chanteur Youssef Témimi et le compositeur Abdelkader Bou'asida. * Malheureusement, la population locale semble ignorer toute cette histoire, puisque la tendance culturelle, se fait de plus en plus rare. Cette vocation ne figure même pas sur la pancarte en marbre, nouvellement renouvelée et placée sur la porte d'une maison de la jeunesse... Un café fait de l'ombre Heureusement que certains intellectuels de la ville ne lâchent pas prise. Une nouvelle association de citoyenneté, sous la direction de Hejer Ridan, a rejoint l'association du festival des chanteurs amateurs, pour lutter ensemble et dans un même local, contre le vide culturel flagrant. Elle organise des conférences à caractère politique, social et culturel, ainsi que quelques manifestations culturelles. « Cette association a présenté, il y a quelques jours, dans l'hôtel de la ville, la pièce « Soud » création de la troupe théâtrale de Tazarka. Malheureusement, le public a été trop limité... A peine quelques dizaines!», observe un membre de l'association. Ce tableau noir ne fait pas désespérer les habitants. Bien au contraire. Ces derniers s'attendent à un jour meilleur. Car Menzel Témime regorge de personnes capables de sauver la ville de cette «liberté» anarchique qui a fait régner le désordre, la laideur et l'ignorance...