En ces temps d'Aoussou où les plages sont « noires » de monde et, de ce fait, souvent souillées par des déchets abandonnés, un jour où nous n'avions guère envie de rechercher un - petit - espace tranquille au bord de la mer, nous avons retrouvé dans la bibliothèque un petit opuscule, âgé de plus d'une dizaine d'années. Il est intitulé « Au pays de l'Enfida » et a été rédigé par M. Taher Ghalia, historien et archéologue, actuellement Président Directeur Général du Musée National du Bardo.
« Le littoral », tel est le titre de la page 7, ornée d'une superbe photo. « La plage d'Enfida, encore à l'état sauvage ... » a écrit l'auteur. Cette phrase a été, pour nous, le « démarreur » ! Enfida ... après les plages de Bou Ficha, Salloum, est, par l'autoroute, à une heure environ de Tunis. « Sur la façade maritime de la région de l'Enfida, se présente une belle plage, tout le long de la Sebkha Assa Jeriba et celle de Halk El Mejel » précise le texte. Nous l'avions complètement oubliée : cette immense plage mesure plus d'une dizaine de kilomètres et va jusqu'à Hergla. Elle est aujourd'hui bordée par une voie tout à fait carrossable et les foules ne s'y pressent pas ... encore. Nos contemporains, les jeunes au moins, pensent, sans doute, qu'elle manque « d'animations » à la mode. Cependant, pour les avoir fréquentées, il y a quelques années, nous nous souvenons y avoir fait de très belles pêches, à la canne, du bord. Durant l'été, à différents moments de la journée, parfois en plein midi, daurades et marbrés - parfois des « vives » aux aiguillons venimeux ! - se laissent prendre deux par deux. On peut faire griller les poissons, sur place, sans les écailler ni les vider. Ils sont délicieux et gras en ce moment. Essayez : une fois cuite, la peau s'enlève en même temps que les écailles et les entrailles, que la chaleur de la cuisson a fait « coaguler » comme un blanc d'œuf cuit, sont enlevées en un seul bloc. Il vous reste à manger les filets qui ont gardé « le goût de la mer ». Nous avons « ranimés » nos souvenirs. Aux baignades, ont succédé les bavardages à l'ombre d'un parasol. Ne tentons personne en signalant qu'une - petite - sieste ... Même si les fonds sablonneux sont moins « pittoresques » que les éboulis rocheux, nous avons apprécié, tout de même, les longs « survols », des herbiers de posidonies : les « poumons » et les « garde-manger » de la Méditerranée. Palmes aux pieds, calmement, nous avons redécouvert un monde de petits animaux marins. Parfois un banc de magnifiques mulets est passé. Le ventre des femelles des « kerchou » était bien rond : elles vont bientôt pondre et une paire « d'œufs » de mulet salés et séchés, c'est délicieux. Sinon, la longue chevelure des posidonies, balancée par la houle et maculée de zébrures brillantes par les rayons du soleil qui dansent dans l'eau tiède et transparente, dévoile et cache des myriades de petits poissons très colorés. On peut aller spécialement à Enfida actuelle, pour visiter, l'ancienne église. Ce monument a été consacré au début du siècle, à l'époque du « Protectorat triomphant », à Saint Augustin, un « Père » de l'église africaine. Il a été conçu, dès sa construction, pour être une « vitrine » du christianisme africain antique. Le sol et les murs sont décorés de mosaïques « chrétiennes » : stèles funéraires prestigieuses essentiellement et mosaïques signalant les noms de martyrs. Depuis la désaffection de l'église en 1964, elle a été transformée en un musée régional qui regroupe les trouvailles effectuées dans les sites voisins. Cet ensemble de documents remarquables éclaire l'histoire et la religiosité de la population locale aux époques vandale et byzantine et mérite une visite. D'Enfida au village perché de Takrouna il n'y a que quelques tours de roues que nous faisons volontiers, chaque fois que nous sommes dans les parages, tant ce village, même s'il est très ou trop fréquenté actuellement, a de charme et de caractère. Takrouna, berbère, dominé par la zaouïa de son Saint Patron Sidi Abdelkader, cramponné au roc dur de sa colline-forteresse, date de quelle époque ? Nous pensons qu'il est né au moment où les nomades hilaliens « désolaient » les agriculteurs sédentaires de la plaine. Ils ont espéré trouver un abri pour leur famille et leurs biens dans ce village dont les maisons immaculées, sans ouvertures extérieures, se referment comme un poing sur une courette. Elles donnent au petit bourg l'aspect d'une citadelle. Au pied de la colline, le cimetière militaire français est émouvant : y sont inhumés, des chrétiens, des juifs et des musulmans venus d'Europe mais surtout de « l'Afrique Noire » et même du Maghreb. Ils ont écrit avec leur sang une véritable épopée. Partis du Tchad, ils sont allés jusqu'en Allemagne combattre le nazisme totalitaire et raciste. Pourquoi trouve-t-on tant de combattants de la Campagne de Tunisie de 1942-43 inhumés à Enfida ville ? Parce qu'ils assaillaient, une fois de plus, les portes du « rempart Sud de Carthage » : les passages du bord de mer et de l'Oued R'mel qui mènent, le premier, à Bir Bou Regba, Grombalia et Hammam El Enf, le second à Zaghouan et à la Mohamedia vers la plaine de Tunis. Toutes les collines au Nord d'Enfida parlent d'histoire. Un jour, peut-être, nous l'avons promis, nous irons au Sud jusqu'à Hergla et nous flânerons dans son arrière-pays. Après être retourné sur la G.P. 1, à 5 kilomètres environ au Nord d'Enfida, là où la Sebkha El Assa borde la route, nous avons emprunté une petite route conduisant à Henchir Chgarnia où se trouvent les vestiges assez importants du bourg antique : Uppena. « La piste principale qui traverse le village de Chgarnia conduit au quartier chrétien daté du IVème au VIIème siècle après J.C. ». « Le second secteur surplombe la route de Sousse ... » a écrit M. Ghalia et nous y avons vu les ruines d'une grande citadelle byzantine, dotée de tours d'angle, construite comme les autres : un remplissage central de moellons liés avec un béton, couvert des deux côtés par une paroi en pierres taillées, bien appareillées. Nous sommes revenus à Enfida pour aller en pèlerinage à la source d'Aïn Garci. Nous avons beaucoup chassé dans les collines qui dominent l'usine d'embouteillage et le village. Les pentes sont raides mais on y trouvait beaucoup de perdrix ! Ce jour là, nous sommes venus regarder, une fois de plus, les maigres vestiges d'un bourg qui s'appelait Aggersel d'après M. Ghalia et le captage antique mais nous n'avons pas trouvé les ruines d'un aqueduc, situées à 5 kilomètres de Takrouna, qui prouveraient que la source était déjà exploitée à l'époque romaine. Nous sommes revenus vers Aïn M'deker où des vestiges d'époque romaine sont démolis et « empruntés » par les habitants du village quand ils ne servent pas de dépôt d'ordures en bord de route. Nous avons eu très envie de nous arrêter une fois encore à Phéradi Majus dont nous avons déjà parlé. De nouveaux, nous avons admiré le nymphée de Neptune s'encadrant dans la porte monumentale et apprécié la propreté du site très bien entretenu. Malgré les supplications de notre compagnon de route qui souhaitait aller déjeuner au village Ken tout proche. Il m'a vanté son charme, son calme, son architecture, les nombreuses réalisations artistiques qu'on peut y voir ! Je ne lui ai laissé que le loisir de choisir le lieu du pique-nique. « Spartiate, a-t-il dit » ! Il a préféré l'ombre du palmier consacré à Lella Oum Ezzine à celle d'un vénérable caroubier, tous deux croissant sur le site de Phéradi Majus. Une belle journée de promenade et de baignade pas très loin de Tunis !