Lors du Forum international sur le financement des projets de développement de la Tunisie nouvelle, 102 projets ont été présentés aux bailleurs de fonds. Certes, c'est un signal fort pour toutes les parties prenantes, en matière d'orientation économique et politique du pays, mais réussir à fournir une enveloppe de 8 milliards de dollars, dans les meilleures conditions, sans accabler les générations futures tout en gardant la souveraineté de la décision, est aussi un défi à relever par le gouvernement en place. Pour en savoir plus, nous avons rencontré M. Riadh Bettaïeb, ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale. Entretien. Pouvez-vous nous préciser les critères adoptés pour sélectionner les projets à présenter aux bailleurs de fonds ? Et quel est le besoin global de financement ? On a présenté une diversité de projets. En effet, on a puisé dans les tiroirs tous les projets de développement rural dont les études de faisabilité et de rentabilité sont finalisées. C'est un premier paquet dont la mise en œuvre ne nécessite que le financement. Et, pour les projets dont on ne dispose que des titres, on négocie actuellement des apports financiers et d'assistance technique pour finaliser les études afférentes. En somme, les projets présentés au financement relèvent essentiellement des secteurs prioritaires. Il s'agit particulièrement de projets d'infrastructures qui sont de nature à améliorer le cadre de vie des citoyens dans les zones défavorisées et à faciliter l'accès aux différents services, conformément au principe de l'égalité des chances entre tous les Tunisiens. On peut énumérer à cet effet les projets d'infrastructures routières et ferroviaires, de distribution de gaz naturel, de construction d'écoles et d'hôpitaux, ainsi que des projets de réhabilitation des quartiers populaires. Parallèlement, d'autres projets productifs ont été présentés aux bailleurs de fonds, notamment concernant la valorisation des phosphates à Sra Ouerten et à Tozeur, la raffinerie d'Eskhira, la production d'énergie électrique, la désalinisation de l'eau de mer… Le montant global de ces investissements atteint 8 milliards de dollars, dont 1,5 milliard seront assurés par des fonds propres et le reste, 6,5 milliards, sera fourni par les bailleurs de fonds. Pour satisfaire ce besoin, on a déjà engagé des pourparlers avec plusieurs institutions internationales, à l'instar de la BM, la BEI, la BAD, la BID... Et elles nous ont accordé des accords de principe pour le financement de ces projets. Ces œuvres sont de nature à émettre des messages clairs en matière d'orientation des projets programmés dans les budgets de 2012, et probablement de 2013. Soit une visibilité pour le programme de développement du gouvernement sur les choix prioritaires pour les différentes parties prenantes : l'investisseur aura plus de visibilité sur les projets engagés dans les régions et la société civile sera en mesure d'évaluer les projets programmés et d'identifier les projets nécessaires à la région. Pour faire face à ces besoins de financement, on reproche au gouvernement de faire plein de promesses de crédits au lieu de négocier des dons ou encore de chercher à rééchelonner la dette extérieure. S'agit-il d'un choix délibéré du gouvernement ou d'une réticence des bailleurs de fonds ? La Tunisie dispose d'un important capital de sympathie. Cela s'est traduit dans le cadre du budget 2012, où on a dépassé les 600 millions de dinars de dons programmés. Toutefois, pour réaliser les projets de développement, la mobilisation des ressources nationales n'est pas en mesure de satisfaire tous les besoins financiers. D'ailleurs, avec des ressources naturelles limitées et après une année de récession, la seule possibilité est de chercher des financements extérieurs. Ainsi, il faut trouver les meilleures formules de financement, notamment en matière de délais de grâce, de périodes de remboursement et de taux d'intérêt (1,5%). Par ailleurs, pour relancer notre économie, l'investissement doit évoluer qualitativement. A mon sens, il est facile de retrouver les performances habituelles de l'économie, mais le défi consiste en le renforcement de l'attrait de la Tunisie pour les IDE et le dynamisme des investisseurs nationaux. A cet égard, on ressent l'intérêt que portent les investisseurs étrangers ainsi que le regain de confiance de l'investisseur national dans le climat des affaires. A cet effet, l'orientation vers les pays du Golfe, les plus riches au monde, pourrait-elle générer de meilleures conditions de crédit que celles offertes par les autres bailleurs de fonds ? On doit profiter de toutes les opportunités possibles pour répondre à nos besoins de financement et pour développer l'éventail de nos partenariats. Pour ce faire, on s'ouvre sur notre milieu naturel, maghrébin, arabe, africain... De même, on est en train de s'ouvrir sur les pays asiatiques : on est en train de négocier des crédits avec le Japon et on a reçu une proposition coréenne de crédit... Donc, il s'agit, d'abord, d'un développement naturel et en plus il y a des possibilités offertes à la Tunisie dans cette région. Auparavant, la Tunisie avait des relations étroites avec quelques pays. Ce qui s'est traduit par un niveau d'intégration avec les pays arabes de l'ordre de 7%. C'est un chiffre scandaleux. Mieux encore, toutes les études ont prouvé que l'intégration avec les pays arabes pourrait générer jusqu'à 2% de croissance économique. Sans complexe, on veut diversifier nos partenaires et renforcer nos relations avec nos partenaires stratégiques. Pensez-vous que la période d'une année et demie est suffisante pour négocier et mobiliser toutes les ressources sollicitées ? La question que je pose est plutôt :quelle est la capacité de l'économie à absorber tous ces fonds et tous ces projets? Car la Tunisie dispose d'une belle image et les bailleurs de fonds sont disposés et veulent contribuer à la réussite de la transition démocratique du pays. Nous apprécions cet élan de solidarité. Je suis donc confiant quant à notre capacité à mobiliser les fonds nécessaires pour le financement des projets. Mais est-ce qu'on est capable de réussir la transition économique à l'image des avancées politiques ? En d'autres termes, le défi est de réaliser ces projets, d'assainir le climat des affaires et d'instaurer une paix sociale en vue de maintenir le rythme du système productif. En effet, il n'y a pas de réussite de la transition démocratique sans la réussite des défis économiques et sociaux. N'y a-t-il pas de conditions de réformes juridiques, ou d'adoption de politiques spécifiques, dictées par les bailleurs de fonds en contrepartie du déblocage des fonds ? Le financier en général a besoin de s'assurer de la réussite du processus économique et de la bonne rentabilité des projets. La nouvelle Tunisie offre aux bailleurs de fonds ce qu'ils ont toujours demandé sans l'avoir : un climat d'affaires sain et transparent, une détermination de tous les acteurs à réussir le pari économique et social, et une volonté d'aborder un nouveau modèle de développement durable qui tient compte des indicateurs économiques mais aussi sociaux. Car on vise à mettre en place les bases d'un développement économique réel. Maintenant, on est en train de stimuler la croissance, mais dans une année et demie, c'est le secteur privé, dynamique, qui participera activement à entretenir le rythme de la croissance économique. En fin de compte, les bailleurs de fonds savent pertinemment que la Tunisie est en train d'offrir un modèle politique et économique pour toute la région.