Par Moncef ZOGHLAMI( *) • «Ne crois surtout pas que Dieu est inattentif à ce que font les injustes. Il ne fait que les retarder pour un jour où leurs regards deviennent fixes». (Sourate Ibrahim : 42) Il est indéniable qu'en ces jours d'incertitude où tout est sujet à caution, même les causes les plus nobles sont devenues l'objet de jugements pernicieux, foncièrement malsains et provocateurs. Les joutes oratoires de certains faux responsables politiques déniant le droit aux réparations des victimes des abus de l'ancien régime, droit que le rapport du SG des Nations unies du 3 août 2004 reconnaît. Les militaires du présumé complot de Barraket Essahel ne sont pas des mercenaires mais des patriotes. Ce sont des citoyens en uniforme que le pouvoir politique a réduits en moutons et envoyés à l'abattoir. Leur exclusion de l'Armée est un acte exceptionnellement abusif qui doit être corrigé sans hésitation par l'Administration. Les sévices moral et physique subis sont reconnus par le tribunal militaire comme «violence contre autrui» , alors que les dégâts physiques, corporels et psychologiques sont les conséquences d'actes de torture ayant entraîné des incapacités permanentes entre 20 et 50% pour de nombreuses victimes. Ces malheurs nécessitent incontestablement des mesures urgentes de réparations, la restauration de l'honneur et la dignité des victimes ainsi que l'octroi de compensations. Aussi faut-il rappeler que les chefs hiérarchiques de l'institution militaire de l'époque ont abandonné leurs prérogatives. Ils ont même agi avec un zèle sans précédent en livrant, sans la moindre enquête interne, leurs collaborateurs et subordonnés aux tortionnaires du ministère de l'Intérieur. Bon nombre de ces responsables sont en cause même s'ils n'ont pas torturé de leurs propres mains et qui étaient en position ou qui ont pu être en position de prévenir les actes de torture. En 1991, la bulle du présumé complot de Barraket Essahel, inventée par le ministère de l'Intérieur, aurait dû être dégonflée par le ministère de la Défense nationale. Cela n'a pas été le cas car le courage moral, l'honnêteté intellectuelle et l'audace face au dictateur ont manqué à ceux qui avaient pour mission de veiller aux destinées des forces armées. Une démission collective du commandement militaire aurait changé le destin du pays. Pour ce qui concerne les mesures de réparation au profit des victimes, le statut particulier du militaire, sa soumission absolue aux règles de la discipline et du code de l'honneur militaire font de lui un citoyen à part que la justice transitionnelle dans son volet pécuniaire ne doit pas concerner. Les réparations pour militantisme politique sont hors sujet ; le militaire en uniforme est apolitique par définition. Ceux de 1991 ont été enlevés de leurs unités, en uniforme, pour être par la suite exclus sans retour. Dire que réclamer des dommages est indécent, relève de la malhonnêteté intellectuelle et de calculs politiques vils et mesquins. Le militaire n'a droit ni au vote ni à l'adhésion aux partis et n'a même pas droit à avoir son passeport individuel, ni droit à l'expression de son opinion dans les médias. Placer les victimes de Barraket Essahel sur le même plateau de la justice reviendrait à commettre, de nouveau, une injustice plus amère et inacceptable par toutes les victimes, véritables citoyens de seconde zone, taillables et corvéables à merci. L'affaire de Barraket Essahel, inventée par le régime de Ben Ali, constitue en réalité un règlement de comptes politique visant la crème de l'Armée et l'institution militaire elle-même. C'est un cas unique dans les annales de l'histoire des armées. Sa résolution ne peut être ni juridique ni administrative. Elle relève d'une décision politique. Les militaires de Barraket Essahel n'attendent qu'une réhabilitation officielle et des réparations des préjudices. En tout état de cause, ces mesures n'effaceront jamais les stigmates de l'humiliation et de la torture subie et ne répareront jamais «les carrières brisées» (dixit A.Kallel devant le tribunal militaire). Seul le département de la Défense est en mesure de percevoir tous les aspects de la question. Toute autre connexion avec une tierce partie serait contre-productive. Chaque ministère est le mieux placé pour octroyer les réparations et compensations appropriées à ses victimes. Le 24 juin prochain, fête anniversaire de l'Armée nationale, est une date propice pour réhabiliter les victimes et annoncer les mesures appropriées en matière de rétablissement de la dignité et de réparation des préjudices. Accorder, en tranches, aux victimes leurs droits serait un acte de justice réparatrice sans plus car la cicatrice est indélébile au fond de l'âme de chaque individu, homme ou femme, qui pourrait probablement pardonner sans jamais oublier. Bâtir la réconciliation et le pardon sur l'injustice revient à semer les graines de la rancune et de la haine des victimes et de leur descendance. La désillusion des victimes ne sera que plus amère si le 24 juin n'enfanterait qu'une simple déclaration qui ne coûterait rien à l'Etat. Pour les victimes de Barraket Essahel, seule une réhabilitation officielle et une reconnaissance publique de leurs droits à des réparations justes pourraient panser leurs blessures profondes, encore béantes. La prochaine fête de l'Armée est attendue par ces anciens militaires avec un immense espoir. «O vous qui avez cru. Soyez patients et rivalisez de patience (avec vos adversaires). Montez la garde et craignez Dieu, peut-être récolterez-vous le succès». (Sourate la Famille de Imrane : 200).