Par Pr Hela OUERDI (citoyenne tunisienne) Les propos tenus par Tawfik Ben Brik il y a quelques jours dans les médias français seraient tout au plus grotesques et pitoyables s'ils n'étaient pas graves et dangereux. A priori, on pourrait se dire que le discours injurieux et incohérent de T. Ben Brik n'est digne que de notre indifférence et ne mérite pas le moindre commentaire. Hélas, cet énergumène a trouvé une tribune où s'exprimer et véhiculer une image terrifiante et déformée de notre pays. En tant que citoyenne tunisienne, je me suis sentie profondément offensée par un discours qui ne se contente pas seulement de proférer des insultes à l'égard du Chef de l'Etat et par là même à l'égard de tout le peuple tunisien qu'il représente, mais aussi de diffuser des aberrations et des contre-vérités dont la principale et la plus grave conséquence est de compromettre la souveraineté de notre pays. Je ne voudrais pas reprendre ici les propos démentiels de T. Ben Brik pour ne pas leur donner de l'écho. Du reste, un discours construit sur le mensonge et l'insulte finit inévitablement par imploser et s'autodétruire. Ce que je souhaite faire dans ces quelques lignes, c'est analyser le fonctionnement de l'approche de T. Ben Brik comme le symptôme d'une indigence intellectuelle; la malhonnêteté évidente qui sous-tend son discours est par ailleurs le signe d'une posture démagogique et abusive, et donc profondément anti-démocratique. Au cours de deux récentes interventions télévisées, T. Ben Brik a servi aux médias français à propos de la Tunisie une véritable image fictionnelle construite sur des approximations et truffée d'archétypes. En fait, il a aplati la réalité politique tunisienne au rang de «fable» bâtie sur un modèle manichéen et simplificateur avec des rôles stéréotypés : les gentils, les méchants et bien sûr le héros, lui-même en l'occurrence, qui s'érige en sauveur du «peuple tunisien martyr» (sic). D'ailleurs, T. Ben Brik n'a pas hésité à se comparer, le plus sérieusement du monde, au Mahatma Gandhi ! Le bonhomme ne fait pas dans la subtilité. Une telle démarche dénonce son incapacité intellectuelle à analyser, à développer une pensée critique de fond sur la dynamique politique et historique en marche dans notre pays. Par ailleurs, la fiction politique qu'il a présentée dans les médias (dont il est un bon client) est une véritable manipulation de l'opinion publique française, que T. Ben Brik infantilise d'une certaine manière en lui servant cette image rudimentaire et grossière (dans tous les sens du terme) de la Tunisie, versant par la même occasion dans le pathos et le lieu commun. Par la violence outrancière de ses propos, et l'absence totale de nuance dans son discours infesté de mensonges (notamment sur le statut de la femme tunisienne), T. Ben Brik présente un point de vue monovalent, extrêmement rigide et verrouillé qui exclut l'approche dialectique et rompt toute possibilité de dialogue. Dans ce sens, il se met dans une posture profondément antidémocratique et devient par là même le digne représentant de la pensée totalitaire qu'il prétend dénoncer. Le voilà pris à son propre piège. La teneur fasciste de certains mots qu'il a employés (comme le mot effrayant de «dératisation») fait vraiment froid dans le dos. Cette violence verbale radicale range T. Ben Brik parmi les «prêtres» du moralisme absolu dont parle Sartre qui «au lieu de penser le bien comme à faire, le pense comme à délivrer». Mais ce n'est pas le fait le plus grave. T. Ben Brik a franchi la ligne jaune lorsqu'il a demandé explicitement à des puissances étrangères (la France et le cas échéant les Etats-Unis) «d'intervenir» en Tunisie. Voilà une invitation sans équivoque à l'ingérence et à la mise sous tutelle néocolonialiste de notre pays ! T. Ben Brik a touché à ce qui ne supporte aucune concession : la souveraineté nationale. C'est à ce moment-là qu'on réalise à quel point l'homme est dangereux! Il ne se contente pas seulement de donner de notre pays l'image d'un «zoo» (sic) mais présente le peuple tunisien devant les médias étrangers comme un peuple d'infirmes qui subissent, impuissants, le joug d'un despote et qui ont donc besoin d'être assistés et pris en charge par les puissances étrangères. Le cas échéant, celles-ci pourraient éventuellement venir nous donner des leçons de civilité et nous imposer, comme en Irak, la démocratie par les armes ! Rappelons à T. Ben Brik que la démocratie est « une dynamique historique et politique grâce à laquelle la société nourrit une réflexion critique et normative sur elle-même», d'après Hentsh. Je souligne ici : «Sur elle-même». T. Ben Brik a été grisé (et ce n'est pas une métaphore !) par l'intérêt immérité et incompréhensible que lui accordent certains médias français. La surexposition médiatique a dû déstabiliser la personnalité de toute évidence fragile de T. Ben Brik, si bien qu'on l'a vu alterner délire de persécution et bouffées mégalomaniaques. Il n'a pas peur du ridicule et c'est là où réside finalement son courage. Le pire c'est qu'il a projeté sa détresse personnelle sur l'ensemble des Tunisiens et a gravement compromis l'image de toute une nation. Visiblement, T. Ben Brik n'a pas mâché ses «maux» si bien qu'il en a eu, selon la formule d'Emile Zola, «une indigestion de démocratie».