Par Mohamed Chawki ABID * • Six mois après, a-t-on concrétisé ses «quick wins»? Depuis sa formation en décembre 2011, le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens : - Un tour de table musclé, dénombrant plus de 50 ministres et secrétaires d'Etat. - Des conseillers en surnombre, dont certains au rang de ministres ou de secrétaires d'Etat. - Des consultants de diverses spécialités, sollicités pour la conception du budget de l'Etat 2012, et du Programme économique 2012-2016. En dépit de la modicité du budget d'investissement public (6,4 milliards dinars), les projets inscrits tardent à démarrer, particulièrement pour des raisons de complexité procédurale ou de verrouillage bureaucratique. En attendant la simplification des formalités et l'allègement des procédures de lancement des projets d'infrastructure (cahier des charges, appel d'offres, dépouillement, attribution), ainsi que l'actualisation corrective du code d'incitation à l'investissement, nous sommes en droit de nous interroger sur l'efficacité des actions ponctuelles: a-t-on mis en place des actions ordinaires, à coûts limités et à effets rapides portant, notamment, sur la lutte contre la pauvreté, le combat contre le chômage, l'atténuation de la disparité régionale, et la consolidation de la justice sociale? En fait, des actions prioritaires de redynamisation économique et sociale devaient être prévues en marge du budget de l'Etat, et viser l'atténuation du fléau du chômage amplifié par le ralentissement économique et la fragilisation des entreprises. De telles actions se traduisent par des interventions selon une logique de proximité, sur le marché de l'emploi local. Pour ce faire, un plan d'action est à déployer au niveau régional, au cas par cas. Malheureusement, rares sont les initiatives qui ont été prises dans cette perspective. Le plan de cicatrisation sociale et de relance économique consiste à orienter l'action de court terme dans les régions déshéritées, en vue de mettre en place les leviers économiques et sociaux appropriés pour répondre aux attentes et atteindre les objectifs de la révolution. Ce plan de solidarité économique et de justice sociale devait : - Privilégier l'aide de ceux qui se trouvent dans le plus grand besoin, - Œuvrer en faveur de la protection de l'emploi par l'assistance des organismes employeurs, - Aider les ménages en quête de revenus par la promotion de petits métiers (artisanat, valorisation de substances utiles...) - Lancer immédiatement les grands chantiers d'infrastructure, pour absorber le maximum de chômeurs dans ces régions. On a souvent remarqué que lorsqu'un pays (ou une région) traverse une crise de chômage chronique, la première action qui se décrète rapidement consiste à «couler le béton». En effet, l'exécution de travaux publics offre une bonne employabilité générale et permet de construire des infrastructures qui ne manqueront pas d'attirer les investissements privés. En Tunisie, deux actions gagneraient à être décrétées: «couler le béton et planter des arbres». Il n'est pas à démontrer que les régions de la révolution souffrent d'un déficit d'infrastructure, toutes formes confondues. De même, le budget de l'Etat 2012 a dû réserver 80% des dépenses en Titre II auxdites régions. Une priorité première doit donc être donnée à ces projets en catalysant leur démarrage rapide. Pour ce qui est du reboisement, depuis la fin de l'ère Bourguiba, l'on accordait de moins en moins d'importance à la lutte contre la désertification des zones arides, particulièrement au sud et au voisinage des oasis. Aujourd'hui, avec les menaces de recul de la méga-nappe fossile, commune entre la Libye, la Tunisie et l'Algérie, les autorités compétentes devraient redoubler d'effort pour amener une partie de l'excédent des eaux du Nord (entre 1 et 1,5 milliard de mètres cubes sont balancés en Méditerranée) et réaliser une série de barrages verts protégeant les terres agricoles contre l'avancée du Sahara. Par ailleurs, et sans vouloir revenir sur les carences et maladresses de la loi de finances complémentaire de 2012, il est clair que plusieurs autres actions spécifiques devaient être conduites depuis janvier 2012, dont je citerais à titre indicatif les mesures suivantes : Développement des recettes fiscales : - Audit du secteur pétrolier, et récupération du manque à gagner annuel estimé à plus de 1 milliard de dinars - Redressement fiscal des protégés de l'ancien régime, surtout ceux connus pour leur paresse contributive et l'absence de transparence financière. Optimisation de nos ressources en pétrole et gaz : - Audit des entreprises pétrolières, et fiabilisation des reportings quantitatifs et financiers - Revue des permis en vigueur et lancement de nouvelles consultations - Mise à jour de l'estimation des réserves. Développement des petits métiers et de l'artisanat : - Simplification des procédures d'installation pour compte (grâce fiscale) - Mise en place de mécanismes souples de financement auprès de l'ONA - Renaissance de la distribution des produits d'artisanat (ex-Socopa) et réinstallation de l'ancien parc d'exposition sur l'ancien terrain av. Med V (parking de la maison RCD). Relance du secteur touristique : - Promouvoir des produits touristiques adaptés au marché maghrébin et au marché du CCG - Assainir les unités hôtelières connaissant des difficultés conjoncturelles - Céder les hôtels en difficultés structurelles à des tour-opérateurs pour faciliter leur commercialisation et créer un effet induit sur le tourisme tunisien Réanimation du secteur industriel : - Ralentir le flux des importations en produits à la consommation, fabriqués en Tunisie - Moderniser les usines publiques viables économiquement (Sncpa...) - Localiser les richesses naturelles transformables artisanalement ou industriellement - Multiplier la concession des carrières de substances utiles sises dans les régions de l'intérieur, à des PMI ou à des jeunes promoteurs de ces régions. Assainissement du secteur bancaire : - Reprendre les missions d'inspection, interrompues depuis un an - Effectuer un mouvement au sein des Directions générales de banques - Réduire le rythme de distribution des crédits à la consommation (particuliers) - Faciliter la cession des actifs pris pour sûretés, pour les créances compromises - Récupérer la liquidité dormante, pour renflouer la trésorerie des banques et leur permettre de mieux financer l'économie. Enfin, quant aux autres secteurs, chacun pourrait observer au moins 3 actions efficaces dans une logique de quick wins : agriculture, environnement, transport, équipement, habitat... Naturellement, le débat reste ouvert pour compléter les actions précitées et mettre en œuvre des actions spécifiques pour les secteurs non couverts. * (Ingénieur)