Après quelques semaines de flou sur les principaux dossiers économiques, le 3ème gouvernement post-révolution a déballé sa recette pour le reste de l'année, avec un programme économique et social fait à la hâte. Ce programme, confectionné en deux semaines seulement, a été tant attendu par les opérateurs économiques et les citoyens aussi, car les dossiers politiques et sécuritaires avaient pris énormément d'espace depuis le 14 Janvier. Mais que faut-il attendre d'un programme dans des circonstances exceptionnelles, et d'un gouvernement lié par un CDD (contrat à durée déterminée), puisqu'il doit partir le 24 Juillet? Et même s'il est provisoire, le gouvernement Caïd Essebsi a-t-il présenté un programme solide qui permettra de limiter les dégâts? D'anciennes recettes dans un climat tendu Pour présenter le programme de son gouvernement, BCE a rappelé le contexte dans lequel il s'est trouvé. «Le troisième gouvernement post-révolutionnaire a trouvé le pays dans une situation économique difficile: un taux de croissance qui frôle 0%, un chômage qui touche entre 500 et 600 mille sans emploi dont 140 mille parmi les diplômés du supérieur et une dérive sécuritaire et médiatique dangereuse». Un argument pour dire que même si on n'arrive pas aux résultats escomptés, on a nos excuses. Le programme économique du gouvernement BCE n'a pas «réinventé la roue», ou apporté la solution miracle, car il n'a ni les moyens, ni le temps, ni le climat favorable pour le faire. Les 17 mesures qui composent le programme sont des recettes faciles, déjà existantes. Ce sont presque des prolongements pour d'anciennes mesures. Et ce gouvernement ne peut pas faire la rupture, car la pression est énorme et les demandes de la rue sont incessantes. Même les axes sur lesquels le programme tourne sont presque du «copier-coller», du douzième plan de développement, à savoir "la sécurité", "l'emploi", "l'appui de l'économie et son financement", "le développement régional" et "les actions sociales". Le gouvernement BCE était face à une équation à plusieurs inconnues, difficile à résoudre. Une marge de manœuvre réduite, et des attentes importantes de la part d'une population en chômage, de citoyens sans ressources, d'entreprises en difficulté, et de régions déshéritées. Le Premier ministre avait annoncé que ce programme est tuniso-tunisien, c'est-à-dire qu'aucun financement extérieur n'a été accepté, alors que plusieurs pays ont proposé leurs aides. Or, selon les dernières estimations, les besoins de financements de la Tunisie ont atteint un record important de 5.000 MD. Une position louable sur le plan de la souveraineté, mais incompréhensible sur le plan pratique. Généralement, le programme s'est concentré autour de l'emploi, les incitations aux entreprises exportatrices, les incitations fiscales pour relancer l'économie, le développement régional, …soit des mesures classiques qui ont été le refrain répété durant chaque loi de finances ou plans de développement, depuis 22 ans déjà.
Des chiffres, encore des chiffres Les chiffres avancés dans le programme économique du gouvernement dénotent d'une réelle volonté de trouver des solutions d'urgence pour le nombre croissant des demandeurs d'emplois. En effet, on annonce la création exceptionnelle de 20.000 postes d'emplois dans la Fonction publique et une incitation des entreprises à faire un effort similaire en créant 20.000 postes supplémentaires. Or, la fonction publique prévoyait déjà la création de seulement 10.000 postes d'emplois cette année. Ce doublement de la capacité aura certainement un impact sur le budget de l'Etat. L'autre question qui se pose est de savoir que va recruter la fonction publique l'année prochaine, si elle recrute cette année les 20.000. Le programme ne présente pas aussi les détails du financement de ces recrutements. De l'autre côté, le secteur privé à travers l'UTICA avait prévu de créer 50.000 postes d'emplois avant le 14 Janvier. Cette initiative reste-t-elle valable pour cette période? Le gouvernement va certainement faire usage des instruments de création d'emplois et d'encouragement à l'initiative privée déjà existante, à l'instar du contrat SIVP, ou les microcrédits, ou la prise en charge par l'Etat de 50% du salaire des diplômés de l'enseignement supérieure recrutés par une entreprise. Même au niveau de son plan pour le développement régional, le programme économique est resté flou sur certains points. On prévoit la révision du budget de 2011, en faisant une réallocation des dépenses en faveur des zones et régions prioritaires. Aucun indice sur les zones concernées, ou les critères de choix des zones d'interventions, ni l'étendue de cette intervention ou les grands projets à réaliser. On sait déjà que le montant global du budget alloué aux régions sera de 278MD, dont 24.2% seront attribués aux régions côtières, et 75.8% pour les régions de l'intérieur. Les chiffres du programme économique semblent être les mêmes retenus dans d'anciens projets, mais doublés ou élargis pour concerner plus de personnes.
L'aléa sécuritaire Il est important de signaler que tout le programme économique du gouvernement repose sur un aléa, très aléatoire et indécis jusqu'à présent, qui est le climat sécuritaire du pays. Malgré l'amélioration de la sécurité dans le pays, rien ne laisse affirmer que la stabilité est de retour. En effet, d'un jour à l'autre, certains incidents se déclenchent, faisant craigner un retour à la case départ. Ce qui s'est passé à Douz récemment, avec des bagarres de rues entre deux quartiers, est un signe très préoccupant. L'autre aléa, est celui du climat social, qui reste tendu. Les sit-in et les grèves sont devenus le pain quotidien de plusieurs établissements. Des menaces sont même lancées à l'encontre de plusieurs chefs d'entreprises. L'incendie de l'usine à Enfidha est un signe dangereux de l'état d'insécurité. Même dans les hôtels, le mouvement gagne du terrain. Plusieurs hôtels ont été fermés pour cause de revendications syndicales alors que la saison s'annonce déjà mauvaise. Le programme se base sur un éventuel retour à la normale de l'activité économique, qui ne peut pas se faire dans de telles conditions. Donc, tout le programme peut "tomber à l'eau" si plusieurs conditions ne sont pas réunies, ce qui menace la réalisation des objectifs escomptés. Le Premier ministre l'a même rappelé en disant que «la réalisation de cet objectif est tributaire de la garantie du bon fonctionnement des entreprises nationales et étrangères implantées en Tunisie». Or, nous constatons une baisse des IDE de 29.7% durant les 3 premiers mois de l'année, ainsi que la fermeture de certaines unités étrangères. On parle même de relocalisation de certaines usines. Il est évident qu'on ne peut pas s'attendre à plus qu'un tel programme, d'un gouvernement provisoire qui travaille dans des circonstances difficiles. S'ajoute le manque d'expérience et de spécialité de la part de plusieurs ministres. En effet, mettre un ingénieur informaticien au ministère du Commerce et du Tourisme, ou un avocat en tant que ministre de l'Agriculture, ne peut pas donner un bon résultat sur le plan de la conception. Même certains ministres spécialisés, comme celui des Finances, ne maitrisent pas les outils et les dossiers de leurs ministères. Ce programme est certainement le fruit de cadres de l'administration, issus de l'ancien régime, et qui continuent de réfléchir de la même manière et adopter les mêmes plans. Le système "des pilules calmantes" et le discours flou sur les détails des mesures économiques est toujours le même. Une attitude qui doit certainement changer après la révolution du 14 Janvier. A.T.
Les mesures économiques L'emploi: Mesure 1: Un programme de recrutements exceptionnels dans la fonction publique (20.000 emplois) et un plan de relance sera également engagé pour inciter les entreprises à faire un effort similaire à l'Etat (20.000). Mesure 2: Prise en charge de 200.000 jeunes à travers les interventions des mécanismes de la politique active de l'emploi, notamment le programme AMEL. Mesure 3: Doublement des montants alloués aux programmes d'utilités publiques dans les régions.
Appui de l'économie et son financement Mesure 4: Programme d'appui et de relance des entreprises qui passent par des difficultés économiques conjoncturelles. Mesure 5: Restructuration du dispositif de micro-crédits et de financement des PME et création de pôles bancaires dans les régions. Mesure 6: mesures fiscales et financières pour la relance de l'économie nationale: Ces mesures s'insèrent dans le cadre de l'incitation aux investissements dans les zones de développement régional, le financement et l'encouragement à l'investissement, l'amélioration de la liquidité des contribuables et la simplification de leurs obligations fiscales. Ces mesures sont notamment les suivantes: 1- Encouragement des investissements dans les zones de développement régional: - Non imposition des investisseurs dans les zones de développement selon le principe de l'accroissement du patrimoine pour les montants libérés ou utilisés jusqu'au 31 décembre 2012 nonobstant le secteur de l'investissement. - Exonération des entreprises des taxes sur les salaires (TFP, FOPROLOS) sans limitation dans le temps pour les projets opérant dans les secteurs de l'industrie, de l'artisanat et des services et les projets touristiques implantés dans les zones de développement régional avec prise en charge par l'Etat de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale pour les nouveaux investissements implantés dans ces zones. 2- Encouragement au financement de l'investissement via le marché financier, et ce, par l'augmentation de la limite déductible pour les personnes physiques qui déposent des sommes dans les comptes épargne en actions (CEA) de 20.000 dinars à 50.000 dinars. 3- Facilitation de l'acquisition des équipements importés ou fabriqués localement, nécessaires à l'investissement : - Les équipements importés : réduction du taux de la TVA de 12% actuellement à 6%, et ce, jusqu'au 31 décembre 2011. - Les équipements fabriqués localement: suspension de la TVA pour les acquisitions faites jusqu'au 31 décembre 2011. - Réduction du taux des intérêts de retard au titre de la présentation des obligations cautionnées pour les contribuables soumis au paiement des droits et taxes douaniers qui dépassent 5.000 dinars de 6% actuellement à 3% jusqu'au 31 décembre 2011. - Déduction pour les entreprises sinistrées au sens des décret-lois portant des mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises pour poursuivre leur activité, promulgués après le 14 janvier 2011, des amortissements relatifs aux machines, équipements et matériel nécessaires à l'exploitation acquis localement ou importés au cours de l'année 2011 sur 3 années au lieu de 7 années. 4- Soutien des entreprises totalement exportatrices pour faire face aux difficultés relatives à l'exportation de leurs services et produits, et ce, en leur permettant d'écouler, au cours de l'année 2011, une partie de leur production ou de fournir une partie de leurs services sur le marché local dans la limite de 50% de leur chiffre d'affaires à l'export réalisé au cours de l'année 2010. 5- Amélioration de la liquidité des contribuables et simplification de leurs obligations fiscales: - Octroi aux entreprises soumises légalement à un commissaire aux comptes et enregistrant un crédit d'impôt sur les sociétés d'une avance de 50% du crédit sans vérification préalable, dans un délai de 30 jours à compter de la date de dépôt de la demande de restitution. Les entreprises sinistrées peuvent bénéficier du remboursement intégral du crédit d'impôt. - Dispense des contribuables qui déposent spontanément dans un délai ne dépassant pas le 30 septembre 2011, des déclarations d'impôt rectificatives ou des déclarations non déposées, non prescrites et échues avant le 1er février 2011 du paiement des pénalités de retard exigibles. - Rééchelonnement, pour les bénéficiaires de l'amnistie fiscale de l'année 2006 n'ayant pas respecté le calendrier souscrit dans ce cadre, des montants non encore recouvrés sur une période supplémentaire ne dépassant pas 3 années pour les créances revenant à l'Etat et 2 années pour les créances des collectivités locales. - Dispense des contribuables qui remboursent leurs créances constatées du paiement des pénalités de recouvrement pour les montants payés au cours de l'année 2011. 6- Suppression de l'avance de 1% sur toutes les ventes des entreprises de production industrielle et des entreprises exerçant l'activité de commerce de gros au profit des personnes physiques non soumises à l'impôt sur le revenu selon le régime réel. Mesure 7: Démarrage des projets d'infrastructures nécessaires pour l'investissement. Mesure 8: Démarrage des projets pilotes dans le domaine des TIC. Mesure 9: Lancer un programme pour promouvoir la nouvelle image de la Tunisie.
3- Le développement régional Mesure 10: Révision du budget de l'Etat et de la loi de finances 2011: A cet effet, il sera procédé, avant fin Mai, à la révision du budget de l'Etat et de la loi des finances 2011 avec une réallocation significative des dépenses en faveur des zones et régions prioritaires à la lumière des demandes exprimées par les régions. Mesure 11: Des dotations budgétaires seront allouées aux autorités régionales pour actionner localement les mécanismes de l'emploi et les aides sociales, tout en adoptant des procédures qui allient rapidité, transparence et équité. Mesure 12: Dissolution des conseils régionaux et leur remplacement par des représentations spéciales impliquant la société civile et les compétences locales. Mesure 13: Appui de la réalisation des grands projets et des projets pilotes dans le domaine des TIC dans les régions.