Par Khaled TEBOURBI «Chantez-nous donc du nouveau, chantez donc la révolution!» L'apostrophe (dimanche 8 juillet «Bila moujamala») est de notre excellent confrère et ami Lotfi Laâmari, que l'on salue, au passage, pour la «parution de son ouvrage recueil Cholestérol. Elle s'adressait, en particulier, aux chanteurs et musiciens du concert d'ouverture de «Carthage». Et elle disait vrai sur le fond. Le pays a changé. Il a chassé une dictature et, depuis dix-huit mois, il s'échine à constuire une démocratie. Les arts et la culture devaient suivre, a fortiori la chanson qui est l'expression populaire par excellence. Pourquoi, dès lors, ce retour au malouf et aux «répertoires d'époque», et pourquoi, spécialement, à l'occasion d'une grande soirée de reprise? On ne répondra pas à la place des organisateurs et des artistes. Il nous semble, néanmoins, qu'il y avait de bonnes raisons à cela. Parlons d'abord du «nouveau». S'il n'en a pas été proposé lors de ce concert d'ouverture, ce n'était pas faute d'en avoir. Que l'on sache, on en a produit, et en quantité, cet hiver dans nos studios. Simplement, ce soir-là, on chantait plutôt «en collectif», et l'idée de base était de célébrer le centenaire de Ali Riahi et de rendre hommage au patrimoine musical tunisien. Ajoutons-y (si tant est que l'argument puisse encore servir) que ce «nouveau» croupissait déjà dans les tiroirs. Les éditeurs n'en voulaient pas, les diffuseurs, non plus. Le public, lui-même, n'en aurait pas voulu. C'étaient, pour l'essentiel, des hymnes un peu dépassés, se rapportant aux débuts de la révolution. La situation n'est plus tout à fait la même aujourd'hui. On se serait retrouvé à «contre-propos». Ceci expliquant encore cela, quelle révolution, au juste, aurait-on pu chanter ? Celle ardente, exaltée, porteuse de mille espoirs de l'après-14 Janvier 2011, ou celle trouble et emplie d'incertitudes qui se profile, d'ores et déjà, devant nos yeux ? On dira ce que l'on voudra de nos chanteurs, de nos compositeurs et de nos paroliers. On rappellera peut-être à la flagornerie et à l'opportunisme de nombre d'entre eux. Il n'empêche, au train où vont les choses, à l'heure actuelle, il est difficile de croire qu'ils aient, tous, envie de «chanter une révolution». Triste panoplie On est en présence d'artistes, cher Lotfi, d'une gent aimant la vie, à tout considérer, jalouse de ses libertés, et qui craint, par dessus tout, que l'on ne vienne, demain, sous prétexte de religion ou de «convenances», l'empêcher d'exercer librement son art. Car, il faut bien qu'on l'admette maintenant : de la révolution de la liberté et de la dignité, de la Tunisie qui aspire à la démocratie, à la république civile et à la modernité, il ne s'entend plus, hélas, que des professions de foi et de vagues et lointaines promesses. Dans la stricte réalité, c'est le démenti de tous les instants. Pour les arts et la culture, les menaces sont criardes et répétées. Il y a eu Persepolis et Ni Dieu ni maître. Il y a eu les violences de la journée mondiale du théâtre. Il y a eu les sauvages agressions sur un de nos comédiens et un de nos cinéastes au Kef et à Nabeul. Il y a eu les attaques salafistes à «El Abdellia». Il y en aura d'autres sûrement, car les fauteurs circulent toujours à l'air libre. Et c'est sans compter avec ce qui se passe et se «fomente» ailleurs. La police occulte de «moralité», par exemple, qui traque les femmes non voilées au grand jour. Ou encore les crèches illégales où l'on initie des bambins de trois et quatre ans au fanatisme religieux. Ou pire : ce projet de loi qui se concocte, insensiblement, dans les coulisses de l'Assemblée constituante, érigeant les limites du «sacré» aux devants de la création artistique. Censure rampante, muselage en vue. Soyons sérieux ! En quoi cette triste «panoplie» serait-elle susceptible d'inspirer nos poètes et nos musiciens ? Chanter la révolution ? Vrai sur le fond. Facile à dire, de prime abord. Dans les faits, pour l'heure, ils vous répondront tous : «il n'y a rien à chanter merci !»