Par Abdelhamid GMATI Les médias tunisiens sont encore une fois montrés du doigt et accusés de tous les maux. Les plus récentes attaques émanent, cette semaine, du Mouvement Ennahdha et de son leader. Ce qu'on reproche avec véhémence aux médias ? Tout simplement d'avoir fait leur travail, soit chercher l'information et la transmettre. Que cette information déclenche des réactions de la part des partis de l'opposition et de la société civile, n'est certainement pas la faute aux médias. Les islamistes le savent, mais ils cherchent des boucs émissaires. En fait, ce qu'ils veulent, c'est que les médias ne diffusent que les informations agréées. Ils aiment bien et privilégient les médias orientaux, spécialement une certaine chaîne de télévision qatarie, entièrement dévouée à leur cause et qui ne transmet que ce qu'ils veulent bien révéler. Les journalistes tunisiens, durement malmenés et censurés sous la dictature (au fait, où sont donc les documents établissant des actes de tortures envers les journalistes?), veulent s'affranchir, varient leurs sources d'informations et s'efforcent de rien taire. Les nahdhaouis veulent que l'on taise les informations qui dérangent, qui provoquent des réactions, la désapprobation. Pour eux, «toute vérité n'est pas bonne à dire». Ils voudraient que les journalistes finissent par se dire : «Cela ne nous regarde pas». M. Hamadi Jebali, Premier ministre, a dit, dans une récente interview diffusée simultanément par quatre chaînes tunisiennes, que «tout va bien en Tunisie» à part quelques petits problèmes mineurs dus, du reste aux partis d'opposition, à l'ancien RCD, etc. Là les médias ont été exemplaires : rediffusion, en intégralité ou en parties, de l'interview, diffusion dans certaines radios et publication dans les journaux. Ça, c'est la bonne presse. D'ailleurs, on ne critique plus expressément les chaînes publiques depuis qu'elles se sont mises au service du gouvernement et des membres du mouvement islamiste, appliquant le programme d'Ennahdha, à savoir «l'islamisation de la société tunisienne» (lectures du Coran, causeries religieuses avec participation de membres islamistes du gouvernement, cours de lecture islamique pour des garçons et des filles, re-causeries religieuses, feuilletons historiques sur des personnages sachant manier le sabre et le poignard, musique et chants liturgiques, etc.). Croyant bien faire leur boulot, les médias ont fait état de ce qui se passe à la Constituante et des projets de loi qui y sont proposés, comme ceux ayant trait à la justice, aux élections, à la liberté de la presse et à l'indemnisation des prisonniers politiques. Il s'est trouvé que ces projets sont contestés et refusés par l'opposition et par une grande partie de la société civile. Ne pouvant y répondre adéquatement, les islamistes accusent les médias d'avoir «amplifié» les sujets. Il faudrait peut-être s'en prendre aux contestataires qui ne veulent pas se laisser berner et refusent une nouvelle dictature. D'ailleurs, ces contestataires ont aussi été culpabilisés pour les manifestations ayant eu lieu à Sidi Bouzid et qui ont été traitées par la violence policière aboutissant à 5 blessés et des arrestations. Bien entendu, les accusations étaient infondées et ont été réfutées. En rapportant cela, les journalistes ne devraient pas s'étonner de ces accusations et de leur auteur, le parti Ennahdha se substituant au gouvernement, car «cela ne nous regarde pas». De la même manière, on ne devrait pas évoquer certains autres faits: - le manque d'informations entourant les accords signés récemment avec le Qatar; - les raisons qui ont amené M. Abdelfattah Mourou à renoncer à poursuivre son agresseur, un islamiste extrémiste;- les raisons qui ont amené le ministre des Affaires étrangères à renoncer à son voyage «d'affaires» aux Seychelles;- le versement en euros des émoluments très élevés de la vice-présidente de l'ANC ainsi qu'à d'autres constituants, alors qu'ils sont supposés être résidents en Tunisie; - les raisons qui ont poussé le président de l'ANC à fixer les émoluments des constituants (ainsi que les siens) alors que cela est du ressort du Premier ministre; - les raisons qui font que plusieurs dizaines d'hommes d'affaires tunisiens sont interdits de voyage depuis des mois; - les raisons de la démission de Mme Myriam Chakroun, attachée à la présidence de la République; - les raisons de la démission (la 2e) du PDG de Tunisie-Télécom; - qui paiera la facture de quelque 60 000 dinars d'un iftar, organisé par Ennahdha dans un hôtel luxueux ?; - les raisons de l'interdiction de manifester à l'Avenue Bourguiba, qui est un symbole des manifestations populaires (depuis le 9 avril 1938) et de la Révolution : comment faut-il qualifier la précision du ministère de l'Intérieur estimant qu'on peut y manifester de jour? A-t-on vu beaucoup de manifestations, la nuit ?; - la contradiction de deux ministres concernant les récents incendies de forêts, l'un y voyant des actes de pyromanes, l'autre estimant qu'ils sont dus à la propagation d'incendies du côté algérien. Nous nous abstiendrons de parler de ces faits et de bien d'autres encore, car «cela ne nous regarde pas». Mais au fait : si cela ne regarde pas les journalistes qui ne devront pas en parler, ce qui se passe dans le pays regarde et intéresse, au premier lieu, le peuple tunisien. Et il l'exprime, de plusieurs manières, en manifestant par exemple; comme lors de la Révolution. Que fera-t-on alors ? Culpabiliser le peuple ?